Chapitre 1 METHODOLOGIE Chapitre 2 LE PAYSAGE... Titre Sommaire

Chapitre 1
METHODOLOGIE

Si «  la recherche anthropologique traite au présent de la question de l'autre  » (Augé,1992:28), «  l'autre » c'est, dans le cadre de ce travail l'accouchement à la maison et sa constellation de valeurs, de représentations, de savoirs, de discours et d'action. « L 'Autre » c'est aussi moi : je suis une femme, j'ai accouché trois fois dont deux fois à la maison, et je travaille comme sage-femme au Québec depuis près de vingt ans. «  L'autre » est aussi en moi, car je suis de cette société québécoise qui a été bouleversée par cette prise de pouvoir qu'est l'accouchement à la maison. Je viens de l'émergence des accouchements à la maison dans les années 70 au Québec alors que 99 % des accouchements se passaient à l'hôpital et que le nombre d'accouchements qui se passaient sous anesthésie générale variait de 37,5 % à 89 % en 1971 (Savard in Saillant, 1985:284). Je viens des courants de la critique de la médicalisation de la naissance, des mouvements pour la santé des femmes, l'humanisation et la démédicalisation de l'accouchement, et du féminisme dont les préoccupations étaient entre autres la réappropriation de leur corps par la contraception et l'avortement (Guérard, 1996).

Le phénomène de l'accouchement à la maison a été connu publiquement dans les médias dès 1975, puis a pris une ampleur non négligeable dans la société québécoise de telle sorte qu'en 1983, on évaluait de 1,5 % à 2 % le nombre de ces accouchements au Québec (Morneault in Saillant 1983:280). Et cela s'est produit dans toutes les régions du Québec. Les couples accouchaient seuls, avec un médecin ou avec des sages-femmes.

Ces nouvelles sages-femmes sont au coeur même de la critique de tout ce qui entourait la naissance au Québec. Elles sont devenues sages-femmes pour répondre à un besoin exprimé par les femmes, besoin qu'elles ont ressenties elles-mêmes dans leur expérience de maternité. Elles ont avec le temps élaboré un savoir sur l'accouchement (voir Tremblay 1983) et différents aspects de la maternité, et ont aussi été actives pour obtenir une reconnaissance légale de leur profession. Le gouvernement du Québec, dans les années '80, a effectué plusieurs démarches pour étudier, documenter et finalement recommander l'intégration d'une nouvelle intervenante, la sage-femme, dans son système de santé comme un des moyens de répondre à différents problèmes et besoins en périnatalité. Ces démarches ont abouti à l'adoption, à l'unanimité, de la Loi 4 en 1990, reconnaissant la pratique sage-femme à titre expérimental dans le cadre de projets-pilotes, i.e. huit Maisons de naissance réparties à travers la province. Et ce, malgré l'opposition farouche de l'ensemble des médecins, ne se résignant pas à la reconnaissance des sages-femmes (leur président ayant même déclaré en 1989 dans les médias qu'il vaudrait mieux légaliser la prostitution que les sages-femmes car la demande était plus grande pour leurs services) et encore moins à l'accouchement en dehors de l'hôpital. Durant tout ce temps, les sages-femmes continuaient à aller à des accouchements à la maison un peu partout mais surtout autour des agglomérations urbaines.

Pourquoi avoir choisi ce sujet ? En fait, j'ai plutôt l'impression que c'est le sujet qui m'a choisie car je me situe vraiment comme une «  acteure » sur ce terrain, étant engagée comme femme dans des groupes de femmes, comme sage-femme à des niveaux professionnels, sociaux et politiques et ce, depuis de nombreuses années. Malgré cette évidence, il est difficile de «  prendre pour objet un monde social dans lequel on est pris  » (Bourdieu, 1984:11). D'un côté, cette situation «  intérieure » peut sans doute contribuer à la compréhension de mon sujet, mais d'un autre côté, elle demeure aussi un sérieux ancrage dont il n'a pas été facile de se distancier même en étant conscient que la neutralité et l'objectivité ne sont pas possibles.

Cette distance nécessaire et même essentielle s'est effectuée en voulant intégrer à mon propos une partie comparative comme l'a gentiment suggéré M. Gilles Bibeau, mon directeur de recherche. J'ai ainsi fait un voyage de trois semaines aux Pays-Bas, royaume de l'accouchement à la maison en Occident puisqu'il y en a eu 32 % en 1995. J'y ai rencontré des sages-femmes, étudié les institutions autour de la naissance et assisté à des accouchements à la maison. Je voulais à l'origine faire dans ce travail une partie comparative des institutions autour de la naissance. Mais je me suis rendue compte que ce voyage m'a surtout servi à me dégager suffisamment de mon terrain pour qu'il devienne réellement un terrain, au sens anthropologique du terme, et non un simple milieu de vie.

La seconde distance concerne le regard. Il est question ici d'une façon anthropologique d'aborder, d'analyser et d'interpréter une réalité, un événement, des personnes. Pour former ce regard, j'ai visité cette fois-là des auteurs : Michel Foucault, dont je retiens surtout son archéologie du savoir médical et les relations savoir-pouvoir, Félix Guattari pour son plaidoyer pour la subjectivité, David Le Breton pour l'anthropologie du corps et de la douleur, Gilles Deleuze pour l'événement et le sens, Georges Bataille, pour l'ordre des choses et l'ordre intime et Gaston Bachelard pour la poétique de l'espace. Mes lectures continues depuis des années, de livres et d'articles sur la médecine, ses recherches, sa critique, sur les sages-femmes, leur évolution et les enjeux actuels à travers le monde, et tout ce qui touche l'obstétrique, le féminisme, les femmes et les enfants, ont aussi constitué un fond et une référence constante par rapport à l'épistémè de notre époque. Les livres sur l'accouchement à la maison étaient des études sur l'aspect sécuritaire, des témoignages et des conseils aux parents et sages-femmes qui se préparaient à le vivre.

Plusieurs aspects autour de l'accouchement à la maison ont déjà été analysés au Québec : l'histoire des sages-femmes (Laforce,1983), l'histoire et les éléments qui ont contribué au transfert de l'accouchement vers l'hôpital entre 1930 et 1960 (Blais,1995), la pratique et la constitution d'un savoir sage-femme (Tremblay, 1983), les caractéristiques des clientes des sages-femmes au Québec (Saillant, 1986), et même l'enjeu des relations entre les sages-femmes et les médecins comme un débat qui n'en finit plus (Desjardins, 1993).

On s'aperçoit que l'intérêt pour les sages-femmes a presque toujours été relié au fait que malgré leur élimination de leur présence auprès des femmes, elles étaient revenues dans le paysage culturel québécois, et qu'elles étaient reliées étroitement à l'accouchement à la maison. C'est même leur lieu d'émergence. Ailleurs, les études anthropologiques et sociologiques ont surtout analysé l'accouchement pour nommer et élaborer les éléments de critique de l'obstétrique occidentale (Jordan 1993, Arms 1994, Kitzinger 1978, 1986, Rothman 1982, 1989, Michaelson 1988, Oakley 1984, Arney 1982, Davis-Floyd 1992, Martin 1987, Tew 1988), décrire et raconter des accouchements à la maison (Lang 1972, Gaskin 1978, O'Connor 1995, Limburg & Smulders 1992) et les croyances et pratiques de d'autres peuples (Dunham 1991, Goldsmith, 1990). J'ai volontairement voulu écarter le courant de critique de la médicalisation de l'accouchement bien qu'il soit constamment en arrière plan, car je voulais plutôt comprendre les aspects mêmes de l'accouchement à la maison vécus de l'intérieur en plus de les mettre en relief avec la culture québécoise de la naissance.

Je n'ai pas voulu faire de l'observation participante en allant à un accouchement à la maison dans le cadre de ce mémoire parce que c'est mon travail de sage-femme d'y aller et que je connais très bien ce terrain. Par contre, le point de vue qui m'était moins familier était celui des femmes et des sages-femmes que je pouvais enfin entendre parler d'elles-mêmes sans être, les unes dans un cadre de relation de besoin d'une professionnelle, et les autres, dans le cadre d'une discussion avec d'autres professionnels ou d'un discours public. J'avais accès à une littérature abondante sur les sages-femmes, la critique de l'obstétrique moderne, le féminisme et les enjeux entourant l'accouchement dans le monde. Mais je ne voulais pas faire une étude de littérature. Je voulais donner la parole aux femmes et aux sages-femmes, valoriser leurs énoncés. Je voulais laisser parler la subjectivité et la saisir en tant que processus créatif, tout en étant consciente que les paroles ouvrent sur un monde sans qu'on puisse le saisir dans son entier.

A première vue, il paraissait facile de choisir parmi quelques centaines de mes clientes ou celles d'autres sages-femmes, mais le début d'une pratique en maison de naissance m'a aidée à préciser mon propos et à trouver les meilleures sources pour le clarifier.

Quand les sages-femmes ont commencé à travailler dans les maisons de naissance, il s'agissait en fait de la presque totalité des sages-femmes qui pratiquaient à la maison auparavant. Ces sages-femmes étaient moins disponibles, ayant une pression désormais légale pour ne travailler que dans ces lieux de pratique. Un genre de silence s'est installé au sujet de l'accouchement à la maison. Le sujet était moins traité dans les médias sauf pour le remettre en question à l'occasion d'enquêtes publiques et internes. Ainsi un coroner concluait une des enquêtes en disant qu'«  actuellement au Québec, vouloir accoucher à domicile, c'est sauter avec un seul parachute !  » (Bureau du coroner, Québec, 1992), présentant l'accouchement à la maison comme une véritable conduite ordalique. Quant au gouvernement, dans sa dernière politique en périnatalité (Gouvernement du Québec, 1993), il mentionne combien la pratique des sages-femmes est une pratique novatrice mais ne fait qu'indiquer brièvement que l'accouchement à la maison sera étudié comme lieu de naissance.

Les anciennes clientes des sages-femmes se retrouvaient devant une nouvelle situation : «  leur » sage-femme n'était plus aussi disponible pour un accouchement à la maison et les invitaient à venir à la maison de naissance en leur en présentant les nombreux avantages. Le même suivi de grossesse, accouchement et postpartum et services gratuits alors que l'accouchement à la maison faisait parti d'un service privé. Il n'y avait qu'une seule différence : se déplacer durant le travail pour venir à la maison de naissance.

Plusieurs femmes sont venues voir les maisons de naissance et ont accepté d'y accoucher, soit parce qu'elles recherchaient plus que tout l'approche sage-femme que le lieu même de l'accouchement, soit que malgré que la maison de naissance ne soit pas leur premier choix, elles acceptaient de faire ce qu'elles appelaient un compromis, le plus souvent pour des raisons monétaires. D'autres venaient se faire suivre pendant un certain temps de leur grossesse, pensant au début qu'il n'y aurait pas de problèmes pour l'accouchement. Mais plus le temps de l'accouchement approchait, plus elles n'arrivaient pas à se sentir à l'aise avec leur décision. Elles exprimaient alors à leur sage-femme qu'elles ne pouvaient se voir accoucher qu'à leur domicile. Et c'était à la sage-femme à prendre une décision au sujet de sa présence à cet accouchement. D'autres femmes sont venues visiter la maison de naissance et ont tout de suite été sûres qu'elles ne viendraient pas y accoucher. Enfin certaines femmes ont simplement exprimé leur désir d'accoucher à la maison, comme un choix clair et unique, sans hésiter par rapport à une maison de naissance. Il fallait se rendre compte que le choix du lieu d'accouchement d'une part, ne se faisait pas contre le milieu hospitalier et la médicalisation de l'accouchement comme il s'était manifesté souvent dans les années 80, et d'autre part, il ne se faisait pas uniquement en fonction de l'intervenante qui était là, peu importe son lieu de pratique. Ces femmes et ces couples décidaient d'accoucher à la maison pour l'espace lui-même. Ils préféraient avoir la présence de leur sage-femme mais si elle refusait, ils étaient prêt à accoucher avec une autre sage-femme ou toute autre personne qui était prête à les aider (médecin, voisine, sage-femme en apprentissage...). Ces personnes faisaient véritablement un choix de lieu d'accouchement dans un contexte où il n'y avait plus à choisir seulement entre l'hôpital et la maison pour accoucher. C'est donc ces femmes que j'ai décidé de rencontrer pour comprendre le sens de leur démarche.

Lorsqu'une femme n'accouche pas à l'hôpital, elle fait face en général à un certain nombre de réactions et de commentaires. Ceux qui reviennent presque invariablement concernent la question du risque et la question de la douleur. Ces aspects se sont donc en quelque sorte imposés à moi comme catégories d'analyse.

Je suis donc allée rencontrer cinq femmes qui avaient fait ce choix, pour les entendre au sujet de leur démarche initiale et subséquente pour accoucher à la maison. Mes préoccupations étaient de comprendre le pour-quoi une femme accouche chez elle et non pas contre quoi. Deux de ces femmes étaient de mes anciennes clientes et les trois autres avaient été suivies par trois autres sages-femmes. Les rencontres, toutes faites après l'accouchement (environ un mois) sauf pour une, ont duré environ une heure et demi chacune, se sont déroulées sous la forme d'une conversation la plus détendue possible et autour de quelques thèmes : pourquoi elles avaient voulu accoucher à la maison, la douleur, le risque. Ces thèmes n'ont pas été choisis au hasard. Je les ai considérés comme étant les plus pertinents pour révéler et comprendre la « culture » de l'accouchement à la maison, attestant d'un ensemble de significations éclairant un autre rapport au monde, du moins dans ces aspects respectifs, que celui de la culture québécoise de la naissance en général. Cette conversation n'était pas tout à fait « libre » mais n'était pas non plus tout à fait « directive ». Les conversations étaient enregistrées, dans le but de ne rien perdre des mots offerts et de me permettre d'être complètement attentive à ce qui était exprimé. Le fait de savoir qu'elles parlaient à une sage-femme a probablement, du moins à mon sens, aidé à ne pas mobiliser chez elles les mécanismes d'une construction de discours. Elles partageaient leur vécu et leurs idées avec quelqu'un «  ami », que l'on avait pas à convaincre ou à justifier leur choix.

D'un point de vue statistique, il est évident que le vécu et le discours de ces femmes ne peuvent pas être considérés comme représentant l'ensemble des femmes qui ont accouché à la maison. Ainsi, il n'y a pas dans mon échantillon la parole de celles qui ont eu un premier bébé à la maison, ni la perception d'une femme avant l'accouchement par rapport à après. Mon intention n'était pas de faire un échantillonnage le plus complet possible et de faire une analyse quantitative des raisons du choix d'une sage-femme et de l'accouchement à domicile car une étude de la clientèle des sages-femmes a d'ailleurs été faite dans ce sens (Saillant, 86). Je voulais rencontrer celles qui avaient choisi d'abord le lieu d'accouchement, entrer et me laisser toucher par ce monde de sens avant de le mettre en perspective avec la culture de la naissance québécoise.

J'ai volontairement décidé de ne pas rencontrer les conjoints de ces femmes dans le but de laisser la parole aux femmes. Je voulais analyser l'accouchement à la maison en tant que fait féminin, vécu et interprété par des femmes et de saisir de l'intérieur, si je peux dire, le point de vue féminin sur l'accouchement, la maison, la douleur et le risque. Il est évident que ces hommes qui avaient vécu la naissance de leur enfant à la maison supportaient le choix de leur compagne, acceptant ainsi d'entrer dans un monde féminin où les sages-femmes étaient à la fois complices de la femme et aussi des invitées dans le territoire d'un couple. Dans une société patriarcale qui a accepté la définition masculine et médicale de l'accouchement comme « vraies », il y a des femmes et des couples qui accouchent en dehors des institutions, qui transgressent les lois culturelles, témoignant ainsi d'une autre vision et définition de l'accouchement et probablement d'un autre rapport au monde. Il serait éventuellement intéressant de comparer les vécus des hommes dans différents lieux de naissance en comparant les significations données à l'accouchement entre autres.

Je suis allée aussi rencontrer cinq sages-femmes qui avaient été à des accouchements à la maison depuis le milieu et la fin des années 70, étant à ce titre parmi les pionnières sages-femmes au Québec. Lors des rencontres qui se sont déroulées aussi sous la forme d'une conversation, j'ai voulu savoir leur parcours dans cette profession et aussi entendre leur discours au sujet de l'accouchement, de la douleur, des risques et des liens entre la profession et le féminisme. Il est intéressant d'ailleurs de constater que les circonstances des débuts de leur pratique rejoignent deux caractéristiques des sages-femmes des débuts de la colonie (Laforce 1983) : l'entraide et le fait d'avoir été choisies par les femmes.

Les sages-femmes ont développé un savoir sur l'accouchement ainsi qu'un système de représentations et de significations autour de la maternité qui diffère sensiblement des significations sociales proposées essentiellement par la médecine, parce que d'une part, elles n'ont ni appris, ni pratiqué dans des institutions, et d'autre part, elles ont été les témoins d'accouchements naturels qui se passaient (en général) bien. C'est pourquoi j'ai voulu ajouter leur voix à celles des femmes à travers les mêmes thèmes, puisque leurs mots croisent et s'harmonisent (du moins jusqu'à présent) avec ceux des femmes qui ont accouché à la maison car ils proviennent du même terreau d'affirmation, de vigilance et d'amour.

Leurs choix personnels et professionnels ont été en partie une affirmation de leur désaccord avec les représentations culturelles de l'accouchement et en même temps, avec les femmes, une formulation non-dite d'autres représentations de l'accouchement faisant de l'accouchement à la maison un discours. Comme le dit Deleuze, il ne faut pas chercher le sens de l'événement. L'événement c'est le sens.

Comment se fait-il que ce phénomène crée un si grand malaise dans notre société et qu'il soit occulté encore par les décideurs alors qu'il est très limité autant dans le nombre de personnes qui prennent cette décision que le nombre de sages-femmes qui y répondent ? Est-ce qu'il ne constitue qu'une exception qu'il ne vaut même pas la peine de valider, vu son petit nombre, ou au contraire l'expression même d'un autre discours sur l'accouchement qui bouleverse le monopole des significations socio-symboliques de la société québécoise ?... Quelle est la distance culturelle des représentations entourant l'accouchement à la maison par rapport à celles proposées par la médecine officielle non seulement par son discours mais surtout par sa pratique ? Peut-on les mettre en relief et non pas en opposition ? Est-ce que l'accouchement à la maison des années '90 est aussi un geste de lutte ou de rupture face au système médical et sinon comment le situer dans la culture de la naissance au Québec ?

Mon travail se trouve à la croisée d'une double démarche : d'une part, saisir de l'intérieur cette « cosmologie » de l'accouchement à la maison, témoignant d'un autre rapport au monde, et d'autre part, regarder l'accouchement à la maison comme discours, une sorte de métalangage sur l'accouchement et sa douleur en contraste avec les valeurs sociosymboliques et les praxis de la culture québécoise. Je voudrais essayer de plonger pour apprécier le « paysage » de l'événement puis porter les yeux sur la « carte » en n'oubliant jamais que « la carte n'est pas le territoire » (Zborzybski in Bateson, 1979:117).

Mon travail va donc se diviser en quatre chapitres ou grandes étapes. La première étape est la mise en place du « paysage » de l'accouchement à la maison dans lequel je vais évoluer. Ce paysage est d'abord la construction d'un récit à partir des paroles des femmes autour des trois grands thèmes que j'ai choisis : pourquoi accoucher à la maison, la douleur et le risque. Ensuite, c'est la construction d'un autre récit, cette fois-là à partir des paroles des sages-femmes, ne gardant que les éléments en relation avec l'accouchement, la douleur et le risque. La seconde étape est l'analyse de la première catégorie d'analyse : l'accouchement à la maison. En répondant à la question du pourquoi, je ne voulais pas analyser les raisons de leur choix mais plutôt la valeur sémiotique du domicile, le sens de la maison pour elles, puis leur perception et les significations de l'accouchement en y mêlant les paroles des sages-femmes, parce que leur discours vient de leur pratique d'accouchement à la maison et n'est pas encore modifié par une pratique dans d'autres lieux. Le troisième chapitre parle de la douleur de l'accouchement. Je propose une analyse intégrée des récits des femmes et des sages-femmes, mise en relief avec les valeurs sociosymboliques de la douleur et faisant ressortir les contrastes des configurations. Le dernier chapitre parle enfin du risque, l'élément majeur des commentaires et des réactions de la communauté médicale au sujet de l'accouchement à la maison. D'une part, chaque thème est divisé en sous-thème afin de mieux en saisir la configuration et d'autre part, le discours et les pratiques obstétricales et sociales comme trame de fond vont permettre de voir et de comprendre les contrastes.

Mais, voyons d'abord comment j'ai élaboré et construit ces récits des femmes et des sages-femmes, afin de mieux saisir le « paysage » de l'accouchement à la maison.

C'est essentiellement parce qu'elles ont accouché à la maison, qu'elles ont eu un accouchement naturel dans un milieu non-médical, que j'ai voulu essayer de saisir ce qu'elles entendaient par accoucher. Je ne peux évidemment considérer que c'est « la vraie » définition d'un accouchement mais je veux donner la parole à celles qui en ont fait l'expérience intime dans un contexte sociosymbolique totalement différent de celui dans lequel accouchent la presque totalité des femmes du Québec.

Car de tout temps, l'être humain a donné de la valeur à celui (et à celle ?) qui avait «  passé », qui avait «  traversé », que l'on parle d'initiation, d'épreuve, d'illumination, d'état de conscience ou de vision. Les grands maîtres spirituels, les grands chamans, les guérisseurs étaient d'abord ceux qui avaient fait l'expérience de l'illumination, de l'union mystique, de la maladie ou même de la proximité de la mort. C'est à ce titre que je donne de la valeur aux femmes qui ont vécu ce passage de la mise au monde sans vouloir l'opposer au savoir médical, mais en étant consciente que dans la société québécoise, l'accouchement et la façon dont on s'en occupe est une affaire d'homme, tant par la définition de ses paramètres que le contexte de la pratique.

J'ai donc voulu me rendre disponible aux sensations, aux émotions et aux images conceptuelles qui émergeaient du récit des femmes qui ont accouché à la maison. Puis, en même temps, j'ai voulu ajouter ce que les sages-femmes ont partagé comme connaissance et vision de l'accouchement, parce qu'elles ont elles-mêmes accouché à la maison, qu'elles ont eu le privilège d'être à des accouchements où les femmes accouchaient bien (du moins la majorité), et enfin parce qu'elles n'ont pas eu une formation professionnelle à partir d'un cadre institutionnel médical, ce qui conditionne passablement la perspective, les conceptions et les gestes qui s'y rattachent.

Mais la description et l'explication de ce qu'est un accouchement est un processus délicat car l'accouchement et la femme qui le vit forment un tout, un système vivant. Ma position d'interprète et d'observatrice ne peut être neutre car je suis une femme, j'ai accouché, j'ai accouché à la maison et je travaille comme sage-femme ayant participé à des accouchements à la maison durant de nombreuses années. La neutralité considérée par certains comme aidante à une démarche scientifique valable n'aiderait en rien la démarche que je veux entreprendre ici car même si je dois avoir une grande rigueur intellectuelle, je considère que mon expérience est un outil et même une condition préalable à la compréhension et à la co-naissance de mon sujet, me permettant d'être à la fois dedans et dehors. Pour qu'un phénomène humain soit vraiment compréhensible il faut avoir participé à son devenir.

La démarche scientifique a des effets pervers que je voudrais éviter car peut-on analyser des données subjectives sans transformer le sujet en objet ? Comment analyser un système sans que la méthode d'analyse ait pour ce système un effet réducteur et destructeur ? Je ne veux pas faire une démarche de distanciation en enlevant la sève de la feuille ou les pétales de la rose pour voir comment elle est faite. Pour moi, cette démarche est l'équivalent pour un danseur d'essayer de parler de la danse, sachant très bien qu'on ne peut pas séparer la danse du danseur, et de le faire en ayant seulement du papier comme outil. Ma démarche anthropologique d'analyse et d'interprétation ne veut pas utiliser les catégories d'analyse que l'on voit dans les textes traitant de périnatalité : entre autre l'accouchement comme événement bio-psycho-social, ce qui, pour moi, contribue au sentiment d'étrangeté et de perte de sens de l'événement.


Chapitre 1 METHODOLOGIE Chapitre 2 LE PAYSAGE... Titre Sommaire