INTRODUCTION
Le
Québec a une longue histoire d'organisation sociale et culturelle autour
de la mise au monde. Comme dans les autres sociétés
traditionnelles, l'accouchement appartenait à la sphère
domestique et féminine et la présence des sages-femmes s'est
manifestée dès les débuts de la colonie sous une forme
organisée d'entraide. Elle s'est peu à peu mêlée
à celle des médecins qui ont eu avec le temps non seulement une
augmentation en nombre mais en poids symbolique. Si bien qu'au Québec,
l'histoire des sages-femmes se ramène à celle de leur
élimination (Laforce, 1983), car depuis le début du XIX
e
siècle s'était amorcée la mainmise des hommes sur un
événement qui appartenait jusqu'alors aux femmes. Enfin, au XX
e
siècle s'est produit une médicalisation de l'accouchement et des
autres événements de la vie des femmes.
Puis,
dans la mouvance du féminisme, de la critique du pouvoir médical,
de la contre-culture et des médecines alternatives, la fin des
années '70 a vu émerger à nouveau des sages-femmes, par le
biais d'une prise de pouvoir très radicale sur l'accouchement :
l'accouchement à la maison. Même si le nombre de sages-femmes
était plutôt réduit, l'impact médiatique et social
n'a pas été négligeable.
L'accouchement
et la naissance ne laissent personne indifférent. Lorsqu'ils surviennent
à la maison, dans une société où 99 % des
accouchements se passent à l'hôpital, cela pose des questions
autant sur l'événement lui-même que sur le contexte global
duquel il a émergé. Car « accouchement, naissance et
mort reflètent avec acuité les valeurs prédominantes de
notre société ainsi que notre conception de l'humain et, de
façon plus globale, notre représentation du monde. »
(Desjardins, 1993:16).
Il
est plutôt surprenant de constater qu'un si petit nombre d'accouchements
à la maison (177 enregistrés en 1995) et qu'un faible nombre de
sages-femmes (20 à 30 dans les années '80) créent un tel
malaise dans les institutions sociopolitiques et soulèvent autant de
réactions dans la population.
Une
analyse sémiologique de l'accouchement à la maison permettra d'en
éclairer suffisamment l'intérieur pour en saisir la cosmogonie et
le sens. Mais c'est le contraste avec la trame de fond sociosymbolique
québécoise qui permettra surtout d'articuler cet
événement comme discours, comme métalangage sur
l'accouchement, la douleur et le risque. Cette démarche aidera à
comprendre en quoi un tel événement est encore un sujet si
délicat au Québec.
Dans
le cadre de ce travail, nous précisons dans un premier chapitre la
façon dont j'ai procédé pour étudier ce sujet.
Puis, un deuxième chapitre concernera l'élaboration de deux
récits, celui des femmes et celui des sages-femmes, qui constitueront
les textes de base de mon analyse. Un troisième chapitre couvre deux
thèmes étroitement reliés : la maison et
l'accouchement dont je veux saisir, à partir d'images-clé, la
valeur sémiologique. Un quatrième chapitre va mettre en relief le
sens de la douleur pour les femmes et les sages-femmes, en rapport avec la
trame sociosymbolique de la culture québécoise. Le
cinquième chapitre fait référence au thème du
risque, perçu par celles qui en sont les plus proches, après
avoir situé aussi le contexte culturel des discours et des pratiques.
Ma
démarche veut essentiellement laisser parler d'abord
« l'accouchement à la maison », atteindre le noyau
de sa vérité subjective avant de pouvoir en parler en le
considérant lui-même comme énoncé.