Chapitre 3 ACCOUCHER... À LA MAISON Chapitre 4 LA DOULEUR Titre Sommaire

Chapitre 3
ACCOUCHER... À LA MAISON

Lorsqu'on rencontre une femme enceinte, la question « pourquoi accoucher ? » ne se pose jamais. Par contre, ici au Québec comme dans tous les pays industrialisés, la question du pourquoi se pose par rapport au lieu d'accouchement uniquement lorsqu'une femme enceinte n'accouche pas à l'hôpital. Aussi est-ce la première question que j'ai posée aux femmes que j'ai rencontrées dans le cadre de ce travail. En fait, je ne voulais pas analyser véritablement les raisons de leur choix mais dans leur réponse, leur « parce que » pouvait donner accès à ce que signifiait pour elles la notion de maison et celle de l'accouchement.

A partir des rencontres et à travers le récit qui s'est bâti, je voudrais donc analyser dans un premier temps le sens de cet espace pour elles. C'est pour cela que j'ai volontairement omis de poser la même question aux sages-femmes parce je les rencontrais comme sage-femme et non comme femme qui avait accouché à la maison. Dans cette démarche de regard et de décodage anthropologique, je suis bien consciente que toutes les femmes qui accouchent chez elles n'ont pas les mêmes représentations de la maison, pas plus que l'on pourrait dire des femmes qui accouchent «  ailleurs », qu'elles ont une représentation similaire de l'hôpital ou la maison de naissance.

Dans un deuxième temps, je voudrais faire ressortir au moyen de métaphores ou d'images-clé les conceptions et le sens de l'acte d'accoucher. Dans une société où l'institution médicale a imposé non seulement sa vision du corps et de l'accouchement dans son discours, mais aussi et surtout dans les pratiques et les lieux de pratique qui correspondent à cette vision, il me semblait important de donner la parole à celles qui n'ont pas suivi les normes. Mais s'intégrant à cette démarche, je veux ajouter cette fois-ci le récit des sages-femmes, parce que leur «  cosmogonie » s'est construite à partir de leur propre expérience de femme en plus d'une présence vigilante, ouverte et respectueuse de centaines de femmes qui ont accouché à la maison dans les vingt dernières années. Et de plus, et surtout, elles n'ont pas eu une formation structurée (donc normalisée et médicalisée) par les institutions entourant la naissance. Même si l'émergence de leur savoir a été analysée dans un contexte d'accouchement à la maison (Tremblay, 1983), je ne veux utiliser ici que le complément d'images apportées à celles des femmes parce que ces images sont nées de la pratique à domicile et qu'elles parlent de plusieurs centaines de femmes qui ont accouché.

1. La maison

Les gens vivent dans différents types d'habitations, logements, appartements, lofts, bungalows, duplex, condos, tours à logements etc., qu'ils soient au sous-sol ou au 12 e étage, avec ou sans fenêtre, espace neuf, vieux ou rénové, à la campagne ou à la ville. Ce qui est commun à ces espaces, c'est qu'ils sont considérés par ceux qui les habitent comme «  la maison  », sans être nécessairement « une maison » telle qu'entendue par les officiers de la construction.

Pour celle qui accouche chez elle, l'hôpital ou même la Maison de naissance c'est «  ailleurs » par rapport à l'espace qu'elle appelle «  chez moi  ». Cette notion ne renvoie pas à un genre d'habitat mais signifie plutôt que l'espace est associé au sens identitaire de la personne. C'est l'espace où on peut être soi-même, où l'on a la liberté de vivre conformément à son être, à tel point que c'est là qu'on peut «  se retrouver  ». Pour l'habitant d'une maison... «  sa propriété est l'expression de l'ipséité, qu'il veut réaliser en lui-même, et par laquelle il veut se distinguer des autres  » (Tollenaere 1967:40). La maison est non seulement le milieu que l'on connaît parce qu'on y vit, c'est aussi le milieu qui nous fait vivre : «  c'est mon espace vital  ». C'est le premier lieu considéré comme «  mon monde  ».

La maison, en tant que «  chez moi  », soit le meilleur lieu où l'on peut être soi-même, reçoit donc un caractère d'authenticité. Et les événements qui se passent dans notre maison nous appartiennent et nous pouvons donc plus facilement se les approprier et ainsi « les événements peuvent mieux s'intégrer  ». La maison devient non seulement un centre d'intégration «  integrated selfhood or wholeness  » (Rabuzzi 1991), elle contribue, comme l'accouchement, au processus d'individuation.

L'espace domestique est riche en analogies quand vient le temps d'expliquer sa fonction représentative : un nid, un refuge, un cocon, une tanière... Ces références représentent la maison non seulement comme contenant mais sont surtout utilisées pour expliquer l'effet de protection apporté par le lieu. La maison est non seulement un nid pour les parents mais une protection et un accueil pour l'enfant qui y naît. La maison contenant la mère qui elle-même contient l'enfant. Cette maison est perçue comme le prolongement du corps, permettant à l'enfant de passer du corps de sa mère à un corps plus grand qui est la maison, gardant une continuité dans la protection qui lui est donnée, car la maison est non seulement un contenant mais elle a aussi une fonction d'envelopper et de couvrir, «  comme l'habit recouvre l'intimité de mon corps  » (Tollenaere 1967:125). Dans notre société, ne parle-t-on pas d'une complète nudité sociale lorsqu'on dit de quelqu'un qu'il est un «  sans abri  », n'ayant pas la protection minimale dont l'humain a besoin : un abri. Une maison constitue un refuge contre le monde extérieur et contribue au sentiment de sécurité ressenti par ceux qui l'habitent. L'hôpital, comme «  ailleurs » n'est pas considéré comme un endroit qui offre la sécurité dans ce contexte conceptuel.

L'espace du chez soi est considéré comme le lieu de l'intimité véritable. L'intimité est ce qui est considéré comme intérieur et profond, secret parfois, personnel et très privé. C'est la condition ultime et fragile qui fait qu'une personne se sent suffisamment en sécurité pour être vraiment elle-même, sans avoir l'impression d'avoir à cacher quelque chose. Pour les femmes, l'intimité perçue comme offerte par l'hôpital ou la maison de naissance, est considérée comme quelque chose d'artificiel, de déplacé, comme ce qui est présenté par une chambre d'hôtel, sans toutefois les considérer comme des lieux publiques. L'hôpital est un milieu où sont des étrangers en face desquels il semble beaucoup plus difficile de se laisser aller et de s'ouvrir pour accoucher. Ainsi, c'est parce que l'accouchement est défini comme un processus d'ouverture, comme événement intérieur et intime qu'il ne peut être envisagé d'être vécu dans un meilleur espace que sa maison : «  c'est le choix le plus cohérent et le plus légitime pour moi... Je ne peux pas être « en moi » à l'hôpital... Ici je perds moins d'énergie à m'occuper de ce qui vient de l'extérieur  ». La maison concentre toutes nos images de protection et d'intimité.

Cette cohérence est un élément central de la représentation de la maison. C'est un facteur de cohésion des différents aspects de la vie de ceux qui l'habitent, rejoignant ainsi Bachelard pour qui la maison est «  une des grandes puissance d'intégration par les pensées, les souvenirs et les rêves des hommes... (elle) évince les contingences, elle multiplie les conseils de continuité. Sans elle, l'homme serait un être dispersé  » (1957:27). La maison contribue non seulement au sentiment de cohésion lien entre les multiples facettes de la vie mais dans le récit des femmes, elle est représentée comme une véritable monade, i.e. une unité parfaite qui est le principe des choses matérielles et spirituelles (Le Petit Robert). Cette signification rappelle le besoin profond de continuité et d'unité dans une vie moderne, morcelée, fragmentée et centrée sur la performance et la production et quand, pour l'homme - machine vivant dans un univers technologique et programmé, la maison est plus souvent une machine à habiter (Le Corbusier), un lieu prévu pour fonctionner et mais pas nécessairement y vivre.

Les femmes parlent de leur maison et du confort. La notion de confort au sens commun renvoie surtout à un confort d'objets, d'équipement et aussi de certaines qualités fonctionnelles comme l'éclairage, l'ambiance thermique et acoustique. Ce confort-là est bien plus une norme technique et administrative fondée scientifiquement dont la domotique induit un nouvel art de vivre. Dreyfus lui oppose, sans être exclusif, la notion de confort discret renvoyant plutôt à une totalité, car le logement ne peut être réductible à une somme d'objets et de fonctions. Il doit être appréhendé comme un tout, comme un espace indicible où le confort renvoie à l'essence des êtres dans leur identité et dans leurs relations au monde et aux êtres... «  la capacité des êtres à inventer leur vie est irréductible à tous les objets du monde et est l'essence même de l'indicible  » (Dreyfus, 1995:46). Difficile de saisir une réalité insaisissable...

Au niveau physique, peut-être que la baignoire est plus grande mais c'est « ailleurs ». C'est pas juste une question d'être dans mes affaires. J'aurais pu amener mes draps, mes couvertures, mes coussins, mes objets, un tableau, j'aurais pu dire « je recrée mon cadre » mais non... c'est plus profond que ça... Ça n'a rien à voir avec l'espace physique... La maison donne un confort intérieur, c'est là où je me sens bien.
C'est le confort de vivre conformément à ses croyances et à ses habitudes et de ne pas avoir à « changer de culture » en changeant de lieu.

La notion de contrôle, dans le sens de « être en contrôle » fait de la maison plus qu'un simple lieu : elle devient un territoire. Elle est en opposition aux yeux des femmes avec l'hôpital, un autre territoire ou sphère de contrôle où «  il y a toujours un jeu de pouvoir  », où «  j'ai pas le contrôle  ». Cette notion de contrôle est une des raisons importantes pour choisir d'accoucher chez soi. En privilégiant le contrôle, les femmes ne parlent pas tant de contrôle de l'accouchement que du contrôle de leur vie dont elles veulent en assumer la responsabilité. «  ce qui m'arrive m'appartient... je dois l'assumer comme j'assume la responsabilité de ma vie. J'ai fait le choix de m'appartenir... je veux aussi être maître de ma vie  ». Le contrôle sur l'environnement du domicile est une partie de ce qui façonne le sentiment de sécurité des femmes. «  chez moi y a pas d'indésirable, c'est moi qui fait le règlement ; j'suis pas obligée de bouger pour personne . »

Si l'espace est immobile, le temps est un écoulement que l'on perçoit par les changements. L'accouchement et la naissance font partie des événements qui marquent le temps d'une vie. Dans une culture dominée par les horaires et les compartiments de temps, dans nos sociétés où les rythmes marqueur du temps sont accélérés, les corps sont domptés et leurs rythmes sont complètement occultés et où l'on s'occupe des corps comme si l'être qui les anime s'en était absenté. Et pourtant,... «  toute forme de vie est réglée intérieurement et extérieurement par des rythmes synchrones avec la nature  » (Hall, 1984:36). Dans notre culture technologique et concentrée, il y a nécessité de contrôle. À l'hôpital, il se produit un synchronisme des personnes et des activités. La femme en travail doit changer souvent son rythme pour s'harmoniser au rythme de l'hôpital, à ses différentes cadences : jour, soir, nuit, fin de semaine. La rentabilisation du temps de travail demande de considérer le corps humain comme facteur de production et dans cette suite, le corps des femmes mêmes comme outil de production d'un bébé. La notion d'efficacité et de performance à laquelle la science médicale est soumise conditionne les mentalités, les discours et les pratiques. Pourtant, à la suite de Haire, Kitzinger et Arms, Rich affirme que la maternité est « ... a continuum, interwoven inextricably with the entire spectrum of a women life. It is not a drama torned from its context, a sudden crisis to be handled by others because the mother is out of her body.  » (Rich 1976:176). C'est ce qui fait dire à une femme :

si je vais ailleurs pour l'accouchement et que je reviens... même si c'est pas longtemps après, c'est peut-être pas grave mais ça fait un trou... il y a eu une brisure... ici, c'est la continuité avec ma vie. Je voulais que l'accouchement y reste dans ma vie.
A la maison, la référence au temps est très différente : «  ici, le temps c'est mon temps ». Il y a une appropriation des rythmes du corps. « Moi je voulais vivre l'événement comme ça devait se passer.  » Le temps n'est plus un ensemble d'unités qui se calculent et s'additionnent. Ce n'est plus le temps calculé par la montre à partir de normes livresques scientifiques. Le temps d'un accouchement, c'est le temps d'un processus, comme une saison, comme l'éclosion d'une fleur. C'est un temps biologique. Ce n'est pas du temps pour soi comme extérieur à soi et gérable. C'est le temps du corps, du mystère de la mise au monde. «  Alors je suis chez moi, j'enlève ma montre, je suis avec mon chum, j'suis occupée... j'accouche . » Dans le contexte normatif, contrôlé et programmé des lieux et des rythmes du corps, dans une culture où la médecine tente de contrôler un temps et un corps qui ne lui appartiennent pas (Morin, 1982), les femmes qui accouchent à la maison veulent dire la valeur de cette appropriation du temps marquant une transformation importante dans leur vie : elles deviennent mère. Elles veulent vivre le temps de la mise au monde et aussi le temps du contact avec le nouveau-né, « ... le temps et l'espace pour faire mon petit cocon avec mon bébé... y faut que tu partes parce que quelqu'un d'autre va accoucher...  ». L'événement de l'accouchement s'inscrit dans la temporalité des événements de la vie, et dont la continuité est ressentie plus profondément à partir de l'espace de la maison. «  Ici c'est inscrit dans mon histoire  ». La femme qui accouche s'inscrit aussi dans l'histoire d'une famille, d'une lignée. Elle prend conscience d'être née d'une femme, qui elle-même est née d'une femme, qui elle-même... une chaîne de vie, de ventres, de seins, de bras. L'accouchement ramène aux origines, aux racines des événements de notre vie dans la lignée des générations qui nous ont précédées et même dans la lignée de l'histoire de l'humanité...

La maison est un lieu d'inscription non seulement psychique mais aussi physique. C'est l'espace que l'on habite avec nos odeurs, nos sons, nos marques, nos traces. Ce sont des traces dont les femmes avaient besoin en accouchant chez elle. Ces traces des gestes de la mise au monde, de leur passage à elles et de la naissance de leur enfant, elles veulent les offrir à leur enfant comme lien tangible avec leur histoire et leur origine. Un ancrage dans le monde physique, le régime de l'incarnation, l'humanité... «  je veux être capable de dire à mes enfants : toi tu es né ici, toi t'es né là... je voulais offrir ça à mes enfants  ». Et l'hôpital qui est usé à force de frotter pour enlever les traces de l'humain (corps et âme) qui y a séjourné!

La vision médicale de l'accouchement mène logiquement à l'accouchement à l'hôpital. L'hôpital est un endroit habité par des personnes malades, un lieu de crise, de drames. C'est un panoptique de surveillance et de contrôle des corps (Foucault,1975), un lieu d'aliénation. Pour les femmes, l'humanisation véritable c'est l'appropriation des représentations et du sens entourant l'accouchement et la naissance. Cette appropriation pouvait se réaliser de la meilleure façon grâce et dans l'espace d'un domicile signifiant. Pour être pleinement dans mon humanité, par le corps comme lieu de médiation entre moi et le monde, dans ce moment où «  l'autre », l'enfant dont je suis le monde, traverse mon corps pour arriver dans mon monde, dans notre monde, dans le monde, cet autre, je voudrais le mettre au monde dans ma maison, dans notre maison...

Le domicile est l'être rempli et protégé dans l'actualité du présent de la vie dans le monde... La promesse du domicile est cette descente dans les profondeurs d'existence où s'attardent les destins avant de se lancer au spectacle de l'être-là ; promettre, c'est reconnaître ce mouvement potentiel, cette force latente, cette tension à éclater qui est propre au monde humain avant qu'il accomplisse son destin humain. (Danek, 1985:434).
Les liens du temps et de l'espace sont étroits et l'humain effectue une sorte d'aller-retour du temps, de l'espace et des gestes du corps comme si «  les rythmes du temps ne pouvaient s'éprouver que dans le miroir des traces, des lignes ou des traits que des gestes gravent dans l'espace pour le graver de la présence d'une présence.  » (Maglione in Dreyfus, 1995:60).
L'espace du domicile, choisi pour ce qu'il constitue comme rapport à soi-même, au monde, au temps et à l'espace, permet d'intégrer et de s'approprier les bouleversements de ce puissant mouvement d'émergence que constitue l'arrivée d'une nouvel être, d'une nouvelle vie. La maison est un milieu de vie, pas un milieu de services. Ses représentations par les femmes comme espace de protection, d'intimité, de confort intérieur, comme gage d'authenticité, de cohésion, de contrôle et d'appropriation du temps et de l'espace en font une véritable monade permettant de vivre l'accouchement, un des événements majeurs de la vie de façon pleinement significative. Ainsi, il se produit un double mouvement : le sens de l'accouchement pour les femmes est en lien de sens et enrichit leur vision de la maison en même temps que le fait d'accoucher à la maison confirme et enrichit le sens qu'elles donnent à l'accouchement.

2. L'accouchement

L'accouchement est non seulement un phénomène qui arrive aux femmes mais surtout qui n'arrive qu'aux femmes. C'est un fait féminin. La grossesse et l'accouchement sont des événements chargés d'espoirs et de craintes dont chaque société structure le sens et les pratiques dans le but de contenir ce puissant mouvement d'émergence qu'est la venue d'un enfant. Au Québec, comme en Amérique du Nord, la science médicale a construit un savoir sur le corps et donc sur l'accouchement. Le regard médical, masculin, est maintenant accepté comme le point de vue le plus valable et même prépondérant par rapport aux autres représentations de l'accouchement. La connaissance que les femmes ont de leur corps n'a pas constitué un savoir considéré comme valable puisque celles qui en étaient les dépositaires, les sages-femmes ont été discréditées par l'émergence de la profession médicale et son institutionnalisation.

La femme qui n'a pas accouché ne sait pas ce qu'elle va vivre, même si on lui a expliqué en quoi ça consiste, même si elle a lu et vu des films d'accouchement. Dans le monde moderne, nous voyons de plus en plus de femmes qui ne se demandent pas seulement comment elles vont accoucher maintenant, mais plutôt si elles vont être capables de le faire. À la peur normale s'est ajouté le doute...

Les femmes, en général, savent de l'accouchement ce que leur mère et les femmes de leur famille leur ont transmis, verbalement ou non, ce que leurs amis et connaissances leur ont raconté, ce qu'elles ont lu, de scientifique ou non, mais considéré comme sérieux sur le sujet ; et enfin ce que les images médiatiques ont laissé comme message. À part quelques sources alternatives, l'accouchement est défini comme un événement biomédical, chargé de risques et se passe la majorité du temps à l'hôpital. Ça fait au moins deux générations de femmes qui ont accouché à l'hôpital au Québec car depuis les années 60, plus de 90 % des femmes qui accouchent, le font à l'hôpital. (Saillant, 1987:129). L'accouchement à la maison se trouve à être considéré comme une véritable exception dans ce contexte. En fait, en 1997, il y a moins de 1 % des accouchements qui se passent à la maison.

Bien que la plupart des femmes qui ont accouché à la maison acceptent l'accouchement dans les termes biophysiques et l'importance de ces repères comme signes d'anormalité, elles ne donnent pas la priorité et encore moins la prépondérance de cette conception. Elles ne sont pas «  contre », mais l'accouchement n'est pas « en soi » un processus dangereux et d'abord biophysique. Elles se sont considérées comme des personnes en santé, elles ont été suivies par une sage-femme et parfois aussi par un médecin qui ont vérifié durant la grossesse les éléments biomédicaux qui auraient pu être des signes d'anormalité et acceptaient en général la valeur de ces signes comme des occasions d'interventions possibles. Quand une femme accouche à la maison, c'est parce qu'elle est considérée comme une bonne candidate, les sages-femmes ayant des conditions très précises pour évaluer la situation. La majorité de ces conditions sont d'ailleurs nommées comme des éléments biophysiques. Voici donc, à partir des récits des femmes et des sages-femmes et à l'aide de métaphores-clés mon analyse des représentations autour de l'accouchement.

L'accouchement comme ouverture.

Pour les femmes l'accouchement est un processus d'ouverture qui se passe avant tout dans le corps, à travers lui. C'est l'ouverture du col, du vagin et de la vulve qui est la condition d'arrivée de l'enfant. Cependant, l'ouverture dont les femmes parlent est aussi une ouverture psychique. S'ouvrir à «  l'autre », l'enfant qui vient dans notre vie, s'ouvrir à la vie dans ce qu'elle porte de nouveau et d'inconnu, d'intense, d'effrayant, de merveilleux, de précieux et de sacré. S'ouvrir à ce qu'on ne connaît pas de soi-même (forces et faiblesses), de notre conjoint, de la vie. «  L'accouchement, c'est l'inconnu et c'est d'une intensité incroyable. La vie va venir, mais comment va-t-elle venir ? C'est un moment où une femme s'ouvre dans ce qu'elle a de plus fort et de plus tendre...  ». Cette ouverture à la vie permet aussi à la femme de «  renaître » : «  I am a woman giving birth to myself  » (Rich, 1976:181).

L'accouchement comme force.

Pour les femmes, l'accouchement est vécu et décrit comme une force incroyable. Elle est perçue comme venant de l'intérieur du corps, comme une intensité dans le corps. « c'est une force qu'il y a dans moi  ». Cette force est celle qui ne peut être contrôlée. Ainsi, une sage-femme pratiquant aux Etats-Unis parlait de la femme qui accouche comme une des forces élémentaires de la Nature : comme les marées, un tremblement de terre, une tornade... dans le sens de la puissance et dans le sens «  non contrôlable  » (Gaskin,1977). Et... «  of being swept up in a force of nature so powerful that your ordinary experience of yourself is gone. This disappearance of the ordinary experience of yourself epitomizes self-transformation  ». (Rabuzzi,1993:1X). Certaines femmes en ont peur et d'autres l'ont apprivoisée, ou au moins l'acceptent : «  le corps qui est pris par cette force et que tu ne peux rien... pis le bébé qui sort... c'est ça qui est merveilleux.  » Les femmes reconnaissent dans cette force que le processus de l'accouchement est bien fait et qu'«  il faut se laisser aller  ». Cette notion de laisser-aller est comprise en opposition au contrôle. Elle implique une attitude à l'égard du physique et du psychologique : la liberté de mouvements, de positions et de l'expression des sentiments et des émotions comme la colère, la peine, le découragement, l'impuissance, mais aussi la déception, la joie, l'extase... Se laisser aller, c'est se permettre d'être soi-même, que l'on soit très réservée ou très expressive, mais surtout de laisser s'exprimer des parties de soi qu'on ne connaissait pas ou qu'on ne voulait pas montrer dans nos rapports sociaux ni même intimes parfois. C'est accepter l'expression de l'animalité de l'accouchement, les grognements et les cris qui viennent de loin. Cette acceptation du «  chaos » du corps, paradoxalement permet aux femmes de se sentir en possession d'elles-mêmes et de leur vie.

La force de l'accouchement est aussi entendue comme une force physique que l'on doit déployer «  c'est comme déménager un frigidaire, mais toute seule.. on pense juste a le tenir pour monter la prochaine marche.  » Un accouchement ça se passe dans le corps.

Mais la force de l'accouchement n'est pas seulement la force «  qui », mais c'est aussi la force «  de », dans le sens de capacité, dans le sens de pouvoir. La capacité d'accoucher, de mettre au monde son enfant. C'est l'accouchement qui fait se sentir forte et capable. Les femmes ont ce pouvoir -qu'elles aient ou non des enfants-. Personne ne leur donne car il ne vient pas de l'extérieur, il est à l'intérieur. «  Après avoir accouché, j'ai senti que je pourrais faire n'importe quoi dans ma vie... je serais capable  ». Cette notion de pouvoir serait intéressante à comparer avec la notion de pouvoir élaborée par Foucault et qui est intimement liée avec la notion de savoir. Les femmes ont un «  savoir » et un «  pouvoir » d'accoucher. Si le pouvoir se définit en acte, l'acte d'accoucher devrait constituer un immense pouvoir dans notre société. Mais «  la reproduction a toujours été considérée comme une sphère féminine menaçante que l'homme cherche soit à éviter en la marginalisant et en l'occultant, soit à maîtriser en lui imposant sa propre logique.  » (Oakley in Brière, 1987:104). La science masculine exerce un pouvoir sur ( power over ), tandis que les femmes ont le pouvoir de ( power from within ). C'est le pouvoir du dedans. Pour les sages-femmes, lorsqu'on peut faire l'expérience de ce pouvoir à l'intérieur de soi « on peut grandir, guérir et passer à autre chose à travers nos relations  ». Mais bien plus, l'accouchement ce n'est pas seulement un pouvoir, mais c'est le pouvoir des femmes « ... qui leur appartient seulement à elles... il n'est jamais partagé... ce sont les femmes qui sont capables de donner la vie... c'est leur capacité la plus grande . »

L'accouchement comme intérieur

L'accouchement est un processus qui se passe à l'intérieur, au-dedans, au fond de soi. C'est pour ça qu'il est si difficile à décrire. C'est comme essayer de décrire une émotion. Les femmes que j'ai rencontrées ont parlé de l'accouchement comme phénomène intérieur pour me faire comprendre que c'était très personnel. On vit un accouchement de la façon qu'on peut vivre les choses personnelles (physiques et psychiques) de notre vie : chacun à sa façon. «  Accoucher c'est tellement un truc personnel, qui te demande d'être toi que d'aller ailleurs...  ». L'accouchement est donc un événement intime, très privé. Il est difficile dans cette perspective d'envisager de le vivre dans un endroit considéré comme public ou du moins habité par des étrangers. C'est aussi un élément dont les femmes et les couples tiennent compte lorsqu'ils pensent à l'éventualité d'avoir d'autres personnes à l'accouchement (famille ou amis). Mais le fait d'inviter des personnes de la famille ou des amis à partager cette intimité, peut prendre un tout autre sens. «  J'avais besoin de témoins... pas pour me voir performer mais pour comprendre que j'existe... chacun me représentait d'une certaine façon. Un étranger ne peut jamais faire ça  ». Le partage de cette intimité contribue au resserrement des liens familiaux et sociaux : « je sentais que je faisais partie d'une communauté  ». Les liens sociaux qui sont validés sont ceux qui sont tissés avec des gens que l'on connaît. L'espace domestique à ce moment inclut «  la société  ». Celle-ci n'est pas identifiée à l'espace public et mise en opposition à l'espace privé, donnant à l'accouchement à la maison, une image de fermeture ou de retrait du collectif. Pour ces femmes, c'est «  à l'hôpital (que) t'es coupée de la société  ».

L'accouchement comme instinct

L'accouchement est décrit comme instinct dans le sens opposé à un processus mental, rationnel. On n'a pas à se concentrer pour qu'un accouchement se passe. Dans une société où la rationalité, la volonté et le contrôle sont des valeurs-maîtres, la perspective d'un accouchement « non contrôlé  » est déroutante et souvent crainte. D'ailleurs, l'utilisation de la technologie est considérée comme une bonne chose par les femmes qui la voit comme un outil de contrôle de leur expérience corporelle. Les femmes qui ont accouché à la maison parlent de l'instinct en faisant référence à la partie «  animale » de la personne, partie qu'il faut respecter comme on respecte un animal qui est en train de mettre bas... on ne le dérange pas. «  Je me sens sauvageonne quand j'accouche, y a une partie de moi qui est animale...  ». C'est pour valoriser cet élément fondamental de l'accouchement chez l'être humain que Michel Odent (1990), un médecin français parle de l'enfant comme le «  plus beau des mammifères  ». Il parle des conditions favorables aidant la femme qui accouche à se déculturaliser et à retrouver son instinct. Devenir une femelle en train de mettre au monde son petit.

L'accouchement comme passage

Un passage «  entre le moment où tu portes l'enfant et où l'enfant vient à la vie  ». La femme et son enfant vivent tous les deux un passage. L'enfant est dans le passage entre le monde du corps de sa mère et notre monde. Il passe dans le corps de sa mère : elle est elle-même un passage. Et la femme qui accouche est elle-même dans son passage : de l'état de fille à l'état de mère. Ce passage l'amène à réorganiser une nouvelle identité car elle a un nouveau statut social et un nouveau rôle à jouer. « Ça crée une empreinte... pour moi et pour mon bébé.  » Mircea Iliade parle de passage initiatique. Davis-Floyd s'est inspirée des écrits de Van Gennep, Turner, Abrahams et Malinowski pour analyser l'accouchement en Amérique comme rite de passage technocratique. Pour elle,

Through hospital ritual procedure, obstetrics deconstructs birth, then reverses, inverts, and reconstructs it as a technological process. But unlike most transformations effected by ritual, birth does not depend upon the performance of ritual to make it happen. The physiological process of labor itself transport the birthing woman into a naturally liminal situation that carries its own affectivity. Hospital procedures take advantage of that affectivity to transmit the core values of American society to birthing women. From society's perspective, the birth process will not be successful unless the womam and child are properly socialized during the experience, transformed as much as by the physiology of birth.
(in Michaelson,1988:171).
Les sages-femmes parlent de passage de vie que l'on voit « comme on voit la vie  ». La femme vient de vivre quelque chose qui la change pour le restant de sa vie. Dans toutes les sociétés, les femmes sont entourées de rituels qui accompagnent le passage de la naissance, pour protéger la mère et l'enfant dans une situation de vulnérabilité, mettre de l'ordre dans le «  chaos » du corps, et permettre l'intégration sociale de la nouvelle mère et du nouveau-né. Ce mouvement, entre deux états, deux situations, est chargé d'inconscient, d'espoirs et de craintes ; «  C'est un moment où une femme s'ouvre dans ce qu'elle a de plus fort et de plus tendre  ». Pour certaines femmes, l'accouchement est un passage qui se fait difficilement, physiquement et psychiquement. Symboliquement l'accouchement est comme un mur qu'il faut briser ou escalader. Sans l'aide de quelque force (Pitocin, épidurale), elle n'y arrivera pas. Pour les sages-femmes, une attitude non-duelle peut aider à faire le passage. Ça ne demande pas de force. C'est comme l'énergie de l'eau sur la pierre. De son côté, Rabuzzi a montré comment le passage de l'accouchement, moyen donné par la nature pour expérimenter une puissante transformation (mort et renaissance), a été repris dans différents rituels de passage des grandes religions sous la forme d'une mort à une ancienne vie puis d'une renaissance spirituelle :

Thus, paradoxically, patriarchal thought frequently makes childbearing metaphoric of « higher » ritualised rebirth from which women have been traditionally excluded, while simultaneously distancing itself from actual childbirth (1993:XX).

L'accouchement comme occasion

L'accouchement est perçu par les femmes comme une occasion de faire une démarche dans leur vie, «  de faire du ménage  », d'évoluer, d'être vraiment soi-même, de se sentir plus forte, plus compétente. Une sorte d'épreuve qui révèle à soi-même et qui nous en apprend un peu plus sur la vie : «  la vie va venir mais comment ?  ». Faire face à l'inconnu n'est pas une chose considérée comme facile dans une société qui présente le contrôle et les garanties comme nécessaire à la sécurité des personnes dans la vie. C'est aussi une occasion de se sentir en lien avec d'autres femmes qui ont eu des enfants : celles qui nous ont précédées, celles de sa famille et même les autres femmes sur la terre. Pour les sages-femmes, il y a une autre occasion :

il y a, dans le poids de la grossesse, la souffrance de l'accouchement, l'esclavage de l'allaitement, il y a un cadeau profondément humain et profondément féminin qui fait qu'on a accès à des choses auxquelles les hommes n'ont pas accès. Aux femmes qui choisissent ou qui n'ont pas d'enfant, on a à leur partager ce cadeau parce que ça nous fait toutes avancer : les femmes, les enfants, l'humanité. Si on se coupe de ça, on s'en trouve appauvri.
Pour elles, à travers la grossesse et l'accouchement, « il y a une connexion totale à la vie dans ce qu'elle a de vital, d'éternel ».

L'accouchement comme histoire

L'accouchement et la naissance sont une histoire..., «  on a tous une histoire  ». Non seulement l'accouchement contient son propre temps, sa propre durée mais il s'inscrit aussi dans le cours du temps. Il marque le temps. Pour Leboyer, (1983) «  la naissance est une intersection de la durée  ». Pour les sages-femmes, «  c'est le moment avec la mort, les plus marquants et les plus fondamentaux de l'expérience humaine. D'ailleurs, la façon de l'aborder, de l'expliquer, de l'observer est directement liée à la peur que l'être humain porte en lui, de la mort, du mystère  ». Il s'inscrit non seulement dans une histoire personnelle, mais aussi celle d'une famille, d'une continuité de générations et même celle de l'humanité. «  Après mon accouchement, j'ai pensé à ma mère, aux autres femmes qui accouchaient, qui avaient accouché. Je me sentais proche d'elles  ». Les femmes s'inscrivent dans la lignée des générations ; elles ont conscience de ce qu'il y a derrière elles et aussi devant : l'enfant arrive «  chez lui  », «  dans notre maison et je veux être capable de dire à chacun de mes enfants : toi t'est né ici, toi t'es né là... les traces... je voulais offrir ça à mes enfants.  » Notre propre temporalité et notre propre spatialité sont les composantes de notre propre histoire. L'accouchement n'a pas à être isolé dans le temps et l'espace. Pour celles qui ont accouché à la maison, il faut inscrire cette histoire dans le livre de famille et non pas dans les statistiques de l'hôpital.

Un accouchement s'inscrit aussi dans la suite des événements faisant partie de la vie sexuelle des femmes : «  Ici c'est la suite de la vie, mon bébé a été fait ici  ». La sage-femme fait référence à l'accouchement comme, dans le temps, «  le pendant du neuf mois plus tôt  ». L'intimité de la maison permet sans doute de vivre l'accouchement comme une fonction sexuelle normale de la femme. «  J'ai senti (aussi) que ça faisait plus partie de ma sexualité... à l'autre accouchement avant, c'était un arrêt de ma sexualité pis tu recommençais après...  ». Comme l'exprime très bien Rich :

Childbirth is (or may be) one aspect of the entire process of a woman's life, beginning with her own expulsion of her mother's body, her own sensual suckling or being held by a woman, through her earliest sensations of clitoral eroticism, and of the vulva as a source of pleasure, her growing sense of her own body and its strengths, her masturbation, her menses, her physical relationship to nature and to other human beings, her first and subsequent orgasmic experiences with another's body, her conception, pregnancy, to the moment of first holding her child. (1976:179)

L'accouchement comme un tout

L'accouchement est enfin un «  tout » dans le sens du tout qui est plus que la somme de ses parties et dans le sens du tout dont on ne peut pas séparer les éléments sans toucher à son identité-même. C'est un tout vivant, dont chaque élément contribue à l'ensemble et qui bouleverse l'ensemble lorsqu'il est lui-même touché, brisé ou carrément enlevé. C'est le principe d'un système écologique. C'est un événement total de la vie, dans son contenu et dans son contenant.

La femme enceinte et celle qui accouche fait l'expérience phénoménologique de la non-dualité, l'expérience du «  et » : le corps et l'esprit, la tête et le coeur, la force et la fragilité, la douleur et la joie, l'intérieur et l'extérieur, le oui et le non, le profane et le sacré, la vie et la mort... Dans un éthos moderne de l'individualité et du narcissisme, dans un conditionnement culturel faisant ressentir le « moi » comme un centre isolé de conscience et de volonté à l'intérieur d'un sac de peau face à un monde extérieur étranger (Watts), la femme enceinte fait l'expérience d'être une «  enceinte », une forteresse et en même temps, l'expérience de vivre un lien, une union «  mystique » avec l'autre « en » elle. Dans le monde du positivisme et de la rationalité, elle fait l'expérience de mystère de la vie et de la « relationalité ». Nous vivons un conflit interne entre notre moi et notre corps, entre notre raison et notre instinct et nous croyons que c'est la condition essentielle d'une vie civilisée. Dans un monde de technologie et de production, la femme enceinte fait l'expérience de l'écologie d'un système et d'un processus de création. C'est précisément dans ce sens d'ailleurs, que la critique du système obstétrical considère que «  today childbirth and parenting may be the worst ecological disaster areas of all.  » (Arms 1994:170). Dans un monde profane, la femme fait l'expérience du sacré. Le profane est le monde de l'aisance et de la sécurité, en autant qu'il y a une sûre et prudente soumission à la règle ; tandis que le sacré est une forme d'énergie incompréhensible, difficilement maniable et éminemment efficace. Mais, ils «  sont tous deux nécessaires au développement de la vie ; l'un comme milieu où elle se déploie, l'autre comme source inépuisable qui la crée, qui la maintient, qui la renouvelle . » (Caillois,1950:26). L'accouchement est un puissant révélateur. Alors comprendre la naissance, c'est aussi comprendre la vie comme un tout et comme un mystère.

Pour les sages-femmes, l'accouchement est une analogie complète avec la vie.

L'accouchement, C'EST LA VIE, dans les termes de conception, accouchement et postnatal... toute la vie est comme ça. L'accouchement c'est passer à l'action par rapport à quelque chose que l'on porte... c'est pas nécessairement vivant ; (parfois) il y a mort-né, parfois il y a besoin de ressuscitation, parfois il y a hémorragie... c'est global et c'est approprié... c'est un acte mystérieux et c'est correct comme ça... c'est une chance d'apprendre à grandir... c'est un processus et la vie est un processus comme celui-là... ce sont des cycles tout le temps... même un souper est un processus.
Nous pouvons prendre conscience à quel point le sens qu'à «  la maison  » pour les femmes, peut être riche en diversité autant qu'en profondeur, et révéler à quel point la maison n'est pas un lieu comme un autre. Elle est un lieu d'identité et d'appropriation du temps et de l'espace. La maison est un milieu de vie et un territoire. Elle a des fonctions de protection, de cohésion, d'ancrage et d'intégration, et l'accouchement qui s'y déroule peut donc s'inscrire dans la logique de ses représentations. Car l'accouchement raconté dans leurs mots, par les femmes et les sages-femmes, révèle un autre rapport au monde que celui présenté dans les discours sérieux et scientifiques. Il n'exclut pas les représentations biophysiques et mécanistes de la mise au monde, ni ne s'y oppose ; mais il se situe nettement dans un espace «  autre », un monde féminin, riche et rond... Pour les femmes et les sages-femmes, l'accouchement et la maison sont interreliés étroitement par des complémentarités de sens. Ils en viennent à faire partie des racines et de l'empreinte de la venue au monde de l'enfant : «  c'est ici que je suis né  ».

Mais la réalité de l'accouchement telle que construite culturellement, fait entre autre souvent référence à l'accouchement comme processus douloureux et tellement chargé de sens négatif que la douleur de l'accouchement est devenu un enjeu de plus en plus important dans nos sociétés occidentales modernes. Je vais donc explorer cet enjeu dans le prochain chapitre. Dans un premier temps, pour donner un aperçu des valeurs sociosymboliques entourant la douleur en général, puis la douleur de l'accouchement en particulier ; dans un deuxième temps, le sens et le regard qu'ont les femmes et les sages-femmes sur la douleur de la mise au monde. Et enfin les mettre en relief l'un par rapport à l'autre.


Chapitre 3 ACCOUCHER... À LA MAISON Chapitre 4 LA DOULEUR Titre Sommaire