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CONCLUSION

L'analyse émique de l'accouchement à la maison a permis d'élaborer, à partir du paysage de subjectivité des récits des femmes et des sages-femmes, les représentations autour de la maison, de l'accouchement de la douleur et du risque, dressant ainsi une sorte de carte que l'on peut voir.

Ainsi, « la maison en soi n'est pas un lieu comme les autres » (Piché in Saillant, 1988:334). Elle est un lieu d'identité, d'appropriation du temps et de l'espace. Elle a des fonctions de protection, de cohésion, d'ancrage et d'intégration. L'accouchement qui s'y déroule peut donc s'inscrire dans la logique de ses représentations et cela permet à celle qui le vit, d'insérer cet événement dans son histoire, dans la continuité et le tout de la vie, dans une quête de sens et de cohérence.

Et la douleur s'insère dans le tout de l'accouchement et s'y associe comme événement normal de la vie. Elle a non seulement en sens, mais elle en a plusieurs. Pour les femmes, elle est un signe d'humanité, d'effort et d'intensité de l'accouchement tandis que les sages-femmes voient en elle un signe de séparation, de transformation, de passage et lui reconnaissent une valeur initiatique.

Enfin, le risque ne constitue pas l'unique grille d'évaluation du processus de la mise au monde. Les femmes ont confiance en elles et dans la vie. Leur sentiment de sécurité répond à une norme intérieure et la relation avec les sages-femmes s'inscrit dans un pouvoir partagé, à l'intérieur d'un ordre féminin..

L'accouchement à la maison au Québec, bien que peu lourd de son poids quantitatif, a cependant un poids culturel et sociosymbolique immense. Si l'analyse sémiologique, à partir des voix du dedans, a permis d'en saisir la cosmologie, le contraste avec la trame de fond culturelle permettra de saisir l'événement comme métalangage, comme discours en actes car « on ne demandera donc pas quel est le sens de l'événement : l'événement, c'est le sens lui-même... il n'est pas ce qui arrive (accident), il est dans ce qui arrive le pur exprimé qui nous fait signe et nous attend » (Deleuze,1969:175).

Ainsi, dans un système sociosymbolique imprégné par la technique et la science, par la médicalisation et la normalisation de la vie, dans un contexte de praxis où 99 % des accouchements se passent à l'hôpital, l'accouchement à la maison est une réappropriation de la symbolique de l'accouchement et l'affirmation que l'accouchement ne se définit pas comme un événement médical.

Dans un système de périnatalité où l'humanisation est maintenant associée à la capacité de choisir, l'accouchement à la maison exprime que l'humanisation est aussi le pouvoir de nommer, de définir et de signifier ce qu'est accoucher, souffrir et vivre le risque. Son accomplissement est un hommage à la liberté, « présent humain à son maximum » (Danek, 1985:167).

Dans une société patriarcale dont le système médical est masculin, l'accouchement à la maison révèle une cosmogonie du « féminin » du monde, par son fond et par sa forme. Les sages-femmes qui évoluent dans cet ordre féminin ont une praxis féministe, vécu comme une quête et non comme une guerre.

Dans un contexte de séparation entre le corps et le sujet, entre l'accouchement et sa douleur, entre la vie et la mort, l'accouchement à la maison affirme que l'accouchement s'inscrit dans la vie comme un système et comme un tout. Il témoigne d'un autre rapport au monde.

Érigée en institution la maternité a été dérobée aux femmes en tant qu'expérience profonde, absolument unique, d'un rapport spirituel, charnel et existentiel à l'autre et à soi en même temps, ainsi qu'à l'existence et à la création.
(St-Jean, 1983:254)
Ainsi, accoucher à la maison s'inscrit dans les efforts pour rassembler une identité personnelle morcelée dans une société morcelante. C'est la réalisation en acte et non seulement en mots d'une recherche de cohérence et de vérité.

Dans un contexte sociosymbolique articulé autour de l'idéologie de la sécurité, qui occulte la mort et dont l'institution médicale accentue la prégnance, l'accouchement à la maison est une affirmation que la vie comporte des risques et que les accepter est un grand signe d'humanité. La vie est comme un tout qui contient ce que l'on sépare et que l'on oppose : la vie et la mort, la douleur et le plaisir, le corps et l'esprit...

Dans un contexte où la médecine et la science ont un effet normalisateur et réducteur des conceptions du corps des femmes, du sens de l'accouchement et de la maternité, l'accouchement à la maison témoigne de la richesse des représentations autour de la naissance, confirme que la science n'est qu'une strate du savoir et que les femmes pensent autrement.

L'accouchement à la maison est l'expression d'un autre univers de référence et d'un autre rapport au monde. La mise au monde est perçue comme une occasion de croissance, de prise en main de sa vie et d'accès à la transcendance. Les femmes qui accouchent ainsi que les sages-femmes sentent qu'elles font partie du grand mouvement de la vie et elles veulent être à son écoute car « quand tu accouches c'est la vie qui prend sa forme la plus éloquente ! ».

La réalité de l'accouchement à la maison constitue donc une voix forte dans la culture québécoise de la naissance, sans doute prête à évoluer mais enferrée en même temps dans un contexte sociosymbolique dont la cohérence monolithique n'accepte pas facilement l'effet bouleversant d'une telle réalité. C'est que l'accouchement à la maison parle d'un moment fondateur de l'existence humaine : la naissance. C'est un fait qui ne laisse aucun groupe humain indifférent.

L'analyse anthropologique des voix du dedans éclaire sans aucun doute la réalité de l'accouchement à la maison mais elle contribue surtout à comprendre le sens de l'effet troublant de sa présence dans notre culture car « le plus profond, c'est la peau » (Paul Valéry in Deleuze, 1969:20).


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