Extraits de l'ouvrage Pour une naissance à visage humain
Claude
Didierjean-Jouveau
St Julien-en-Genevois : Jouvence, 2001.
[Achat "en
ligne"]
L'obstétrique traditionnelle consiste à surveiller un phénomène physiologique en se tenant prêt à intervenir à tous les instants. L'obstétrique moderne consiste à perturber le dit phénomène de telle sorte que l'intervention devienne indispensable à l'heure exacte où le personnel est disponible. Pr Malinas, gynécologue-obstétricien, 1994 |
Pages 38-40
Déclencher l'accouchement, c'est le provoquer avant qu'il ne commence spontanément. Une perfusion d'ocytocine synthétique est mise en place. Le débit est progressivement augmenté et ajusté afin de provoquer une activité utérine efficace. D'autres méthodes peuvent y être associées : décollement des membranes, rupture artificielle de la poche des eaux en début ou pendant le travail et/ou utilisation de prostaglandines.
En 1998, 20,3% des accouchements étaient déclenchés artificiellement à un moment choisi (chiffre de l'enquête périnatale de 1998), contre 8,5% en 1972, 10,4% en 1981 et 15,5% en 1991 (la recommandation OMS n°16 est : pas plus de 10% de déclenchements).
Encore ne s'agissait-il que d'une moyenne, certains établissements poussant le déclenchement jusqu'à un taux de 60% (dont 54% dits « de convenance ») en usant de pressions diverses sur les femmes pour les convaincre de l'utilité de prendre date (« vous pourrez mieux vous organiser », « vous êtes sûre d'avoir tout le personnel présent », etc.).
Or, hormis les cas assez rares où le déclenchement répond à une réelle indication médicale (retard de croissance avec souffrance foetale par exemple), l'avantage de la méthode concerne surtout l'hôpital. Celui-ci peut en effet concentrer les naissances sur les jours ouvrables, durant les heures de bureau, et éviter de payer au tarif de nuit des heures supplémentaires à son personnel, voire expédier prématurément de nombreux accouchements à la veille du départ en vacances d'un médecin.
Alarmé par de telles pratiques, le CNGOF (Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français) a organisé fin 1995 une conférence de consensus qui a remarqué qu'en cas de déclenchement, on observe « des contractions plus intenses et douloureuses, une utilisation plus fréquente des forceps » et une augmentation « de plus de 50% du risque de césarienne quand il s'agit d'un premier accouchement ». En conclusion, « un geste médical sans bénéfice médical prouvé » que le CNGOF trouve « difficile de recommander ».
Malgré cette non-recommandation, on peut craindre que le taux de déclenchements n'ait continué à augmenter, d'autant que c'est aussi la « solution » pour éviter que les femmes accouchent dans leur voiture si elles sont trop loin de l'hôpital (parce qu'on a fermé les maternités de proximité... ).
Et que penser du déclenchement si l'on se place du côté du bébé, quand on sait que c'est normalement lui qui déclenche la naissance? Son premier droit n'est-il pas de naître quand il est prêt à naître, et non selon le bon vouloir des adultes? Son vécu ne sera-t-il pas différent s'il a été brutalement expulsé par un déclenchement, qui, de plus, s'avère bien souvent avoir été fait avant terme? Sans oublier que l'intensité du travail augmente alors le risque de souffrance foetale.
Pages 44-49
Il n'est pas question d'entreprendre ici le procès de la péridurale qui dans un certain nombre de cas, évite que la femme ne « perde les pédales » et ne garde de l'accouchement un souvenir cauchemardesque (on estime à environ 15% les accouchements où le ressenti de souffrance dépasse les capacités d'endurance de la femme), mais bien de mettre en cause la péridurale systématique (une moyenne de 58% en 1998 -- chiffre de l'enquête périnatale --, mais près de 100% dans certains services) qui a permis à beaucoup de maternités de ne pas avoir à réfléchir sur leurs pratiques et sur les conditions de la naissance en général, et a transformé les femmes en objets passifs, dépendantes d'un geste médical pour leur bien-être, et tellement déconnectées de ce qui se passe dans leur corps qu'elles peuvent faire des mots croisés ou regarder la TV pendant l'accouchement...
Au risque de paraître rétrograde, je dirai que la douleur de l'accouchement (si elle ne dépasse pas un seuil tolérable, variable d'une femme à l'autre) n'est peut-être pas le mal absolu qu'ont voulu présenter certain(e)s. Dans la vie, toute activité physique intense s'accompagne de sensations éventuellement douloureuses. Qu'on pense notamment à la plupart des sports. Il ne viendrait à l'idée de personne de recommander à un alpiniste d'insensibiliser ses jambes pour éviter les courbatures... Evidemment, on peut prendre le téléphérique, s'il existe, au lieu de grimper. Mais la satisfaction d'être arrivé au sommet sera-t-elle la même dans les deux cas?
Plus de femmes qu'on ne croit gardent de la péridurale l'impression d'avoir été « volées» de leur accouchement. N'est-ce pas parce qu'on leur a vendu le ticket pour le téléphérique sans leur dire qu'elles étaient peut-être tout à fait capables de grimper toutes seules?
Il suffit d'écouter les femmes qui ont pu vivre pleinement leur accouchement, accoucher avec leurs propres hormones comme dit Michel Odent, les entendre dire la fierté qu'elles ont éprouvée, la force qu'elles ont découverte en elles, la façon dont cela a changé leurs perspectives et influencé leur vie entière, pour se dire qu'il est vraiment dommage que tant d'autres passent à côté de cela, simplement par manque d'information et donc de choix réel. Mais peut-être a-t-on justement peur de cette force des femmes?
Comme le disait une femme qui après un premier accouchement « sous péridurale » plutôt mal vécu, avait choisi d'accoucher sans anesthésie pour le second: « J'ai mis au monde mon bébé et c'était formidable. Je ne dis pas que souffrir est formidable, mais le fait de comprendre, de ressentir, d'agir et de se sentir tellement forte ».
Ce qu'on ne dit pas non plus, c'est que la péridurale trouble le déroulement du travail (elle peut entraîner une diminution importante de la qualité et de la quantité des contractions; elle peut engendrer une chute de tension; elle oblige la femme à rester immobile, de préférence allongée sur le dos), qu'elle perturbe l'expulsion (en diminuant la mobilité musculaire du bassin, elle peut entraîner un mauvais engagement de la tête du bébé; diminuant les sensations au moment de la « poussée », elle entraîne plus d'extractions instrumentales par forceps ou ventouse), qu'elle a ses ratages (les femmes insensibilisées à moitié par exemple), ses effets secondaires possibles pour la mère (notamment des maux de tête pouvant être très invalidants pendant un bon moment et empêcher la mère de s'occuper de son enfant), et qu'elle semble, d'après les dernières études publiées, ne pas être sans conséquence sur l'état du bébé, sur ses capacités de succion et donc sur le démarrage de l'allaitement. Une étude datant de 1992 <5> notait par exemple que les mères ayant reçu une péridurale passaient moins de temps à s'occuper de leur bébé pendant le séjour à la maternité. Les bébés étaient moins éveillés, moins toniques et avaient moins d'interactions avec leur mère. Ils étaient moins capables de s'orienter et avaient des mouvements moins organisés, ce qui entraînait souvent des difficultés d'allaitement. Cela pouvait perdurer pendant tout le premier mois de vie du bébé. D'autres études plus récentes ont confirmé ces résultats, observant des bébés léthargiques, peu intéressés par le sein et ayant des problèmes de coordination succion déglutition-respiration.<6>
Dans les magazines, on parle depuis quelque temps de « péridurale ambulatoire » (où la femme n'aurait pas les jambes insensibilisées et garderait donc sa liberté de mouvement) et de monitoring n'obligeant plus à rester allongée sur le dos sansbouger. Cela représenterait incontestablement un progrès par rapport à ce qui se passe actuellement, et diminuerait les inconvénients cités plus haut. Mais les enquêtes montrent que rares sont les maternités à être ainsi équipées.
<5> Sepkoski, C., et al, « The effects of maternal epidural anesthesia on neonatal behavior during the first month », Dev Med Child Neurol 1992, 34: 1072-1080.
<6> voir notamment J. Needs, « Suckling, swallowing and breathing: the effects of pethidine epidurals », et A. Smith, « Pilot study investigating the effect of pethidine epidurals on breastfeeding », Conference of Austr Lact Cons Ass, Aug 1996, B Rev, May 1997, 40.
Quelques chiffres [en France](d'après une étude portant sur 1692 accouchements entre 1991 et 1994) Sans péridurale: 11,64% de césariennes, 2,48% de forceps, 15,06% d'épisiotomies, 75% d'allaitement. Avec péridurale: 24,87% de césariennes, 16,04% de forceps, 47,06% d'épisiotomies, 58% d'allaitement. |
Douleur, cris et contractionsAprès des années de silence, Frédérick Leboyer est revenu en 1996 avec un livre (Si l'enfantement m'était conté) qui, sous la forme poétique à laquelle il nous a habitués, rappelle quelques vérités élémentaires. Que l'accouchement, s'il est « dramatique, intense et même violent », n'est pas nécessairement « brutal et douloureux ». Qu'au plus fort de la tempête des contractions, il y a un ordre, un tempo, « passant de l'andante à l'allegro, cet allegro qui se fait de plus en plus furioso pour, en terminant, culminer maestoso ». Que s'il y a douleur, c'est que la contraction s'est transformée en crampe, en raison souvent d'une mauvaise respiration. Que la femme « en travail » doit se laisser emporter par la vague, « saisir le rythme et se joindre à lui », « laisser respiration et contractions s'harmoniser spontanément grâce au son ». Se donner la liberté d'émettre des sons -- voire des gémissements et des cris -- est en effet pour certaines femmes un moyen de mieux vivre les contractions: les sons aident le corps à produire ses propres remèdes à la douleur, les endorphines (dont la production est aussi facilitée par la pénombre, l'usage d'un minimum de paroles, le chuchotement et le contact de l'eau). Au moment de l'expulsion, le cri, loin d'être signe de panique, peut, s'il est bien utilisé, être source d'énergie, comme dans tous les arts martiaux. Comme disait une femme: « Je poussais, et en même temps je poussais un cri ». Bien sûr, ces sons peuvent être impressionnants pour les assistants, et l'on peut se demander si la diffusion de la péridurale n'a pas été en partie une façon pour les soignants de faire taire les femmes en couches... |
(Consulter aussi la liste complète de documents, la page de liens et la bibliographie de ce site)
Sites Internet et associations francophones pour une approche « citoyenne » de la naissance