Débat autour des projets de maisons de naissance

Enregistré le 8 décembre 2001 à Accueil Naissance, Paris

A l'occasion d'une rencontre d'adhérentEs de la liste Naissance
avec Stéphanie St-Amant, responsable de la MAMANliste au Québec


[Voir les liens et le site Maison de Naissance Info pour une présentation des projets. Discussions récentes, aussi, sur la liste "lieuxnaissance"...]

Stéphanie : Les maisons de naissance sont apparues au Québec en 1994, si je ne me trompe pas, dans le cadre d'un projet pilote. Pour que la profession de sage-femme soit légalisée, et que les familles puissent bénéficier de services sage-femme gratuitement, après 25 années d'efforts, on a décidé qu'on légifèrerait, mais seulement après une évaluation dans le cadre de projet pilotes, celui des maisons de naissance. A ce moment-là, les sages femmes qui existaient au Québec ont été accréditées pour travailler dans le cadre de projets pilotes et ont sélectionné une clientèle à bas risque. Ces maisons de naissance se sont ouvertes, au nombre de 6 ou 7. Une a fermé, victime de son succès, les sages-femmes n'arrivant plus à répondre à la demande localement. Une autre est dans le Grand Nord québécois, situation particulière, population Inuit. Il reste 5 maisons de naissances sur le territoire québécois, ce qui est peu. Presque toutes sont dans des villes, sauf deux. Les projets pilotes sont terminés, et les maisons de naissance sont aujourd'hui le seul lieu de pratique des sages femmes, depuis la loi qui ne permet pas aux sages-femmes, pour l'instant, de travailler à domicile.

Elles ne pratiquent pas à l'hôpital non plus. Il n'y a pas d'entente avec les centres hospitaliers, et il y a des réticences, de la part des milieux hospitalier et usagères. Les sages-femmes n'ont plus un mot à dire à l'hôpital.

Si elles entrent à l'hôpital, alors que par la loi elles peuvent y être appelées, elles devraient bénéficier d'un certain privilège hospitalier, d'un certain pouvoir dans le cadre, ce qu'elles n'ont absolument pas actuellement. Lorsqu'il y a une cliente qui fait face à un transfert, dans certains milieux, on ne demande rien de ce qui s'est passé avant, durant le travail, comme si il n'y avait aucun suivi avant...

Il y a certains endroits ou les sages-femmes sont reconnues dans le milieu hospitalier. Par exemple, moi, il y eu des périodes où c'était le bonheur entre sages-femmes et médecins dans les hôpitaux, les médecins participaient, mais ce n'est pas le cas aujourd'hui avec la fusion des hôpitaux.

Voilà un peu le tableau des maisons de naissance.

Jean-Claude : Moi, j'avais envie de te demander : Ça c'est pour la province du Québec ?

Stéphanie : Oui, strictement.

Jean-Claude : Et qu'est-ce qui se passe, en deux mots, dans les autres provinces canadiennes ?

Stéphanie : J'aurais peur de me tromper, mais il n'y a pas vraiment l'équivalent. Je pense qu'en Ontario, il y avait des projets de maisons de naissance, puis ça été fermé avec le changement de gouvernement. On a pas continué, alors qu'il devait y avoir des centres de naissance, maisons de naissance. Mais les sages-femmes travaillent à domicile en Ontario, ou à l'hôpital. J'ai vraiment un manque de connaissance de la situation en Ontario. Le Québec, par exemple, au point de vue politique, sur la légalisation de la pratique de sage-femme, a démarré historiquement longtemps avant. L'Ontario a une légalisation beaucoup plus vieille. Les sages-femmes travaillent surtout à domicile. La maison de naissance a été un projet mis à la porte par le nouveau gouvernement.

Bernard : Mais là, ce que tu montres, c'est qu'il y a une différence fondamentale avec la France. Les sages-femmes françaises qui seraient susceptibles de travailler dans les maisons de naissance, aujourd'hui, sont pour beaucoup celles qui exercent en hôpital. Bon, il y en a une trentaine qui exercent à domicile en France, à peu près. Parmi elles/eux il y en a qui vont certainement s'impliquer dans des projets de maisons de naissance. Mais, à plus long terme, ce seront surtout des sages-femmes hospitalières, et surtout, pour toutes, des sages-femmes formées exactement de la même manière, dans les mêmes types d'écoles, enfin dans le système bien connu, homogène. Au Québec, c'était plus hétérogène, puisque il y avait toutes sortes de personnes : des sages-femmes autodidactes, qui s'étaient formées sur le tas, des sages-femmes françaises émigrées au Québec, des infirmières françaises...

Jean-Claude : Beaucoup de sages-femmes québécoises ont été se former aux Etats Unis, en France, en Belgique, et sont retournées ensuite au Québec. Il n'y avait pas de formation québécoise. Les sages-femmes québécoises autodidactes, il y en avait vraiment très très peu.

Stéphanie : A l'origine, la pratique en maison de naissance était celle des sages-femmes autodidactes. Sauf qu'on a eu besoin d'effectifs. Il y a eu des examens pour les projets pilotes, il y avait des sages-femmes diplômées qui venaient de l'extérieur, des sages-femmes autodidactes, des médecins... et les meilleurs résultats étaient ceux des sages-femmes autodidactes. C'était pas une pratique hospitalière. En maison de naissance il y a une certaine part d'un suivi traditionnel, avec des critères d'exclusion qui sont les mauvais côtés des maisons de naissance.

Une approche globale de l'accouchement, une vie associative, en est ressortie. C'est devenu un centre communautaire, on est beaucoup à s'investir politiquement, du fait qu'on ait pu discuter entre nous, se réunir, démarcher les journaux, et différentes publications. Ça vient beaucoup de là. Et puis l'accouchement, souvent, ça se passait avec presque pas de matériel. J'avais l'impression d'accoucher en « bed and breakfast », c'était une sortie, on me traitait aux petits soins, c'était vraiment vraiment agréable. Mon expérience à moi, mes deux naissances ont eu lieu en maison de naissance. J'avais 20 ans à mon premier accouchement. Sinon, sage-femme, ça m'apparaissait comme quelque chose que je ne pouvais pas me payer même si je sais aujourd'hui que peut-être j'aurais pu faire un échange de services, ou je ne sais trop, mais ça m'apparaissait comme pas possible pour moi !

Bernard : Ce que j'ai trouvé intéressant tout à l'heure, dans ce que tu disais avant la réunion, c'est que la maison de naissance a permis un changement culturel de l'image de la sage-femme, par rapport à la première génération de sages-femmes qui étaient plus considérées comme marginales dans les années 60, ça a amené beaucoup de jeunes, dans le mouvement, ça correspondait à un changement qui correspondait à un changement de population.

Stéphanie : Ça a permis de renouveler... La sage-femme reste collée à l'image des années 60, associé à une culture qui avait peu d'écho chez les jeunes. A partir des maisons de naissance, il y a eu un renouveau d'intérêt pour la profession de sage-femme, c'est ça peut-être un peu l'écueil d'une pratique qui touche un faible pourcentage de la population. Alors, à partir des maisons de naissance, beaucoup de femmes ont été juste prendre l'information, pour une soirée, puis ont continué un suivi. Ce que j'ai vu, c'est que beaucoup de femmes accouchaient d'un premier enfant en maison de naissance, alors qu'on pensait qu'il aurait surtout des femmes qui auraient déjà un enfant, alors pour plusieurs c'était le premier. C'était étonnant parce qu'on disait qu'il n'y aurait pas de premier accouchement en maison de naissance, alors qu'au contraire, c'était au moins la moitié. Après ça, beaucoup de femmes que je connais ont accouché à la maison.

?? : A partir de 5- 6 maisons de naissance, ça a pu donner à lieu un mouvement significatif ?

Stéphanie : C'est sûr que c'est très peu, mais oui, mais le Québec c'est relativement petit. C'est sûr que c'est pas beaucoup, parce qu'il y a beaucoup de maisons de naissance qui n'arrivent pas à voir le jour malgré un appui de la population, des services médicaux, des autorités locales, avec un soutien très très fort, mais politiquement, on n'a pas l'argent.

Stéphanie : Au Québec, on est dans une période où le système de santé, « ça coûte cher », les gens sont dans les urgences, sont en attente, tout ça, ce qu'on traite, c'est la réduction de services dont les coûts ont augmenté sans cesse depuis deux générations, je sais pas. Les coûts ont tellement augmenté dans les systèmes de santé que ouvrir une maison de naissance avec les coûts d'implantation que ça encourt, ça semble trop. Alors que ça sauve peut-être beaucoup d'argent après, mais l'année d'implantation est chère. Alors là, la volonté politique elle est pas très forte. Ils ont des problèmes très très lourds à régler.

Jean-Claude : Ça c'est, pour moi ça été, un des premiers problèmes qui entraînent tous les autres et tous les aspects négatifs des maisons de naissance, cet aspect financier. C'est un état d'esprit du personnel, des conventions qu'il faut avoir avec les hôpitaux, c'est cet aspect financier là...pourquoi ? Parce que les maisons de naissance -- dès qu'on prononce le mot maisons de naissance, on y voit une grosse structure, une structure avec plusieurs chambres, avec plusieurs trucs, la grosse organisation. Est-ce qu'il existe une maison de naissance, au Québec avec une seule chambre ?

Stéphanie : Non.

Jean-Claude : On ne va pas imaginer une maison de naissance avec une seule chambre ?

Stéphanie : Il n'y en a souvent qu'une d'occupée, c'est rare que sur les quatre...

Jean-Claude : C'est une maison qui est beaucoup plus volumineuse, qui est beaucoup plus grande, et donc tout ça ça coûte de l'argent, en location, en gestion, etc. Donc il faut du personnel, ça devient une véritable gestion de petite entreprise.

Stéphanie : D'après la loi, on ne devrait pas avoir une structure qui demande 3-4 chambres, ça pourrait être une toute petite maison de naissance, mais ce qui est en place, maintenant, c'est des maisons de naissance qui sont demandées par une population peut-être plus grosse, c'est de ça dont il est question politiquement en ce moment.

Jean-Claude : Mais je ne vois pas la raison, par exemple, même financièrement, je ne vois pas la raison pour laquelle, il faudrait que la sécurité sociale ou le ministère de la santé interviennent dans le séjour de la femme qui accouche dans une maison de naissance ? Pour quelle raison ? Pourquoi en faire la demande ? Pourquoi est-ce que cette maison doit être reconnue par le ministère de la santé ? Ce sont toutes des questions que moi je pose, parce que en y répondant positivement, ça entraîne toute une série de difficultés, justement, et donc un certain état d'esprit, de rentabilité, etc. Et là, ça me gêne, parce que tant qu'on parle de tout ça, on oublie qui accouche.

Florence : Il y a peut-être un autre gain aussi pour les femmes qui font ce choix. On nous dit que c'est un système, on présente ça comme quelque chose radicalement nouveau, finalement, c'est comme même de la structure, moi j'ai envie d'entendre les raisons pour lesquelles les femmes se dirigent vers ces formules là, peut-être aussi elles s'y retrouvent mieux que dans un centre hospitalier.

?? : C'est le côté bed and breakfast.

Jean-Claude : Si c'est cet aspect là, moi je vais dans un "Formule 1". On se donne rendez-vous dans un Formule 1. Ca revient moins cher : 30 euros. La femme me donne rendez-vous là-bas, moi j'arrive là-bas; elle accouche, elle reste autant de temps qu'elle veut.. Pourquoi pas ? ça c'est une maison de naissance, pour moi. Qu'est-ce qui nous interdit de faire comme ça ? Personne !

Florence : Elles sont rassurées dans une maison de naissance

Jean-Claude : Oui, mais c'est une fausse réassurance. Pour moi, c'est mentir aux femmes.

Bernard : Ce qui est lié à cela, c'est que le système institutionnel impose un protocole unique pour l'acceptation ou non de la femme qui va accoucher, et il est question de sécurité de transfert. Ce qui nous pose question, nous, dans les projets pilotes au Québec, c'est de voir dans les résultats statistiques, qu'un accouchement sur 4 prévu dans les maisons de naissance aboutit à un transfert en hôpital, alors qu'au départ, c'étaient des grossesses "sans risque", en fait des femmes sélectionnées selon 132 critères, donc on avait éliminé les sièges, les césariennes... Or, un sur 4, ça revient à dire, vous allez à un endroit, demain je vous emmène au ski, en voiture, mais vous avez une chance sur quatre de terminer le voyage en ambulance! Ouais, ben moi, je change de chauffeur, j'y vais à pied !

?? : Et quel est le taux de transfert de l'accouchement à la maison vers l'hôpital... Au Québec ?

Bernard : Au Québec, on pourrait se poser la question, mais la personne qui citait ces statistiques disait que la sage-femme avec qui elle a travaillé n'a eu qu'un seul transfert sur 400 accouchements.

Jean-Claude : Moi je suis à 2%, à partir du moment où le travail a commencé.

A partir du moment où on a un outil à portée de main, on va être très vite tenté d'utiliser cet outil. C'est pas pour rien que dans les milieux hospitaliers il y a des forceps qui sont là, et qui sont sortis à la rigueur, qui sont juste à portée de main, ou une ventouse, ça dépend des équipes, c'est pas pour rien que le taux d'accouchements instrumentalisés sont importants... Parce qu'on a l'outil sous la main !

A partir du moment où il y a un outil, on l'utilise, ça moi, j'en suis persuadé. [Cf. l'étude de Wiegers et al.] Quand la maison de naissance est en convention avec un hôpital à telle distance avec des protocoles, les femmes sont obligées d'aller passer leurs échographies dans cet hôpital là, et pas un autre, d'accord, donc on réduit déjà la liberté de la femme. Parce qu'elle veut accoucher dans cette maison de naissance, qui est conventionnée avec tel hôpital, la femme est obligée d'aller dans cet hôpital. Quelque part, elle a un pied dans la maison de naissance et un pied dans l'hôpital. Son dossier existe dans la maison de naissance et à l'hôpital.

Bien sûr, cette femme qui va accoucher dans la maison de naissance, elle sait que l'hôpital n'est pas loin. L'instrument, ce n'est plus le forceps ou la ventouse, l'instrument, c'est l'hôpital, avec tout ce qu'il représente... Symboliquement, il représente la sauvegarde. C'est le danger des maisons de naissance, qui sont en connivence, convention avec un hôpital.

?? : Et c'est le cas pour toutes ?

Jean-Claude : Et c'est le cas de toutes, malheureusement, et donc le système des maisons de naissance dans cet esprit là, pour moi, pour la femme, pour le bébé, pour les hommes, est péjoratif, dans l'évolution, c'est péjoratif.

?? : Alors pourquoi promouvoir les maisons de naissance et pas l'accouchement à domicile ?

Jean-Claude : Moi, je promeus l'accouchement à domicile. Accoucher à la maison est beaucoup plus sécuritaire que d'accoucher dans une maison de naissance. Beaucoup plus.

Claudia : Alors que les femmes dans certains forums sont beaucoup plus attirées par les maisons de naissance.

Jean-Claude : Ça il faudrait leur expliquer. Mais l'intérêr des maisons de naissance -- mon langage est double, c'est dommage, mais je ne peux pas faire autrement -- c'est de montrer à la population qu'on peut sortir l'accouchement de l'hôpital. Alors, qu'il y ait des maisons de naissance qui se créent, c'est très très bien parce que l'étape suivante, ça sera de dire: "Les maisons de naissance ? Y'a mieux, à la maison!"

Il faut évidemment que les maisons de naissance puissent atteindre des statistiques un peu meilleures que celles qu'on a pu lire, de transfert, etc., au Québec.

?? : Les maisons de naissance ne sont-elles pas tenues d'avoir un équipement médical ?

Bernard : Disons qu'en France elles auront tout l'équipement, les instruments qu'utilisent les sages-femmes, et c'est tout, parce qu'il n'y aura que des sages-femmes qui travailleront dans les maisons de naissance. Par exemple, certains matériels de réanimation, etc., des choses que les sages-femmes sont habilitées à faire.

Jean-Claude : Avec, au Québec, une différence : dans leurs compétences les sages-femmes québécoises sont habilitées, sont formées pour la réanimation néonatale, c'est à dire l'intubation des nouveau-nés, ce que nous en France ou en Belgique on n'a pas. Elles ont un acte médical supplémentaire, au niveau du bébé.

Bernard : En Allemagne, par exemple, (c'était intéressant ce que Françoise a dit rapidement quand elle revenait d'Allemagne), il y a pas mal de maisons de naissance qui fonctionnent depuis un certain temps. Au départ, ça été un mouvement relativement important. Mais après, ce qui s'est passé, c'est que les hôpitaux ont compris que les familles avaient envie d'aller dans les maisons de naissance, parce que c'est mieux, donc ils se sont mis à appliquer ce qu'on voit dans les maisons de naissance. Finalement, de plus en plus, dans les hôpitaux et dans les cliniques allemandes, on peut accoucher dans les positions qu'on veut, y'a des piscines, on laisse les gens tranquilles, etc. Il y a des conditions, finalement, de maisons de naissance au sein l'hôpital. Comme résultat, ça fait que la population qui va dans les maisons de naissance diminue, c'est à dire que les maisons de naissance sont menacées à leur tour de disparaître, vu qu'elles ont rempli leur rôle, comme disait Jean-Claude, de montrer qu'on peut faire autrement, mieux qu'à l'hôpital. Sauf que c'est l'hôpital qui récupère la mise...

Jean-Claude : L'énorme problème, c'est que c'est une bonification dans le sens superficiel, c'est simplement le produit qu'on fait reluire, sans plus, qui a changé. Au lieu d'avoir des horribles tables en métal d'accouchement au milieu d'une salle toute blanche et aseptique, ils ont mis des lits, etc., ça semble être mieux, mais ce n'est pas pour ça qu'on va d'emblée accepter une femme qui va accoucher dans le coin de la pièce, derrière le meuble là, par exemple.

?? : Si à l'hôpital, ce n'est pas trop médicalisé, ça peut me faire réfléchir pour un accouchement à la maison ensuite.

Bernard : En Allemagne, on a pourtant constaté un taux de césariennes croissant.

Jean-Claude : A mon avis, c'est très piégeant. Quand on parle de « il faut rassurer les femmes », quand on présente les maisons de naissance, les hôpitaux, présentés de telle manière, c'est censé rassurer les femmes avec la présence d'équipes, etc. C'est censé rassurer la femme. Je pense que cette notion de vouloir rassurer la femme ne peut se faire qu'en superficie et venir colmater toute une série de problématiques, problématiques qui peuvent aussi aider cette femme à accoucher, ça n'est pas nécessairement une problématique négative pour la femme qui va accoucher. Et ça, c'est encore une fois, c'est double, en voulant la rassurer trop dans un sens immédiat, ça vient colmater des choses profondes, beaucoup plus importantes, dont elle pourrait se servir justement pour son accouchement. Elle se trouve dans un milieu qui est soi-disant rassurant, elle va plonger dans cette réassurance, et à un moment donné, elle va être confrontée à ce qu'elle a au fond d'elle même... Or, lorsqu'elle l'est -- moi je le vis à domicile comme ça -- c'est en elle-même qu'elle peut aller chercher ses ressources, et là, à ce moment là, l'accouchement peut se faire. C'est à ce niveau là qu'il y a un taux de transfert et d'instrumentalisation très très faible à domicile, c'est quand on leur fout la paix, c'est quand les femmes vont chercher leurs potentialités au fond d'elles-mêmes... Tout ce qui est de réassurance, ou de ce que j'appelle le sourire de la crémièr, euh...

Maud : Oui, mais tu parles de tout un travail qui doit être fait pendant la grossesse.

Jean-Claude : Non, justement pas. C'est de se libérer de tout ça et de pouvoir se regarder, elles.

Maud : Oui, mais pour pouvoir se libérer, c'est à dire de pouvoir croire en ça, déjà croire qu'on a pas besoin de canne, qu'on a pas besoin de sages-femmes, croire qu'on a besoin que de soi, moi je trouve que c'est un travail qui doit être fait pendant la grossesse, même s'il n'est qu'intellectuel et fait de lectures.

Jean-Claude : Toute la réflexion ne va certainement pas pour la masse, pour Madame tout le monde. Moi, je m'en fout éperdument de Madame tout le monde. Moi, je me préoccupe de Madame untel, Madame untel, les autres je m'en fout éperdument, je laisse ça aux autorités politiques, aux autorités sanitaires, etc. C'est pas mon problème, ça. Ça a été mon problème, mais tant qu'on se préoccupe de la masse, de Madame tout le monde, on vient avec des solutions autocollantes, standards, qui nécessairement vont oublier Madame untel, Madame untel...

Florence : J'avais envie de dire tout à l'heure que, ce qui est beaucoup moins subtil, c'est qu'on attire les femmes vers l'hôpital parce qu'à l'hôpital, l'accouchement doit durer 6 six heures pour une primipare, ça doit durer sensiblement moins pour un troisième enfant, et que ce qui est à disposition et qui fait que le personnel va utiliser ses instruments, c'est dans l'objectif que tout ça cadre dans un certain temps. L'épisiotomie, ça fait gagner...

Jean-Claude : 16 minutes...

Florence : Voilà, il y a un temps pour l'accouchement.

Maud : Même si, à la limite, on te laisse tranquille, et si on te met dans une pièce tranquille, il est pas sûr que la femme elle même, si elle n'est pas informée de tout ça et si elle n'a pas fait un travail intérieur pendant la grossesse en se disant « j'en suis capable », et si il n'y a pas des gens autour d'elle qui lui disent « mais t'en es capable! », il y a plein de femmes qui peuvent très bien paniquer et dire « j'ai peur, j'ai mal », etc.

Jean-Claude : Et c'est dans leur panique et grâce à leur panique qu'elles vont accoucher...

?? : et si tu as autour le médecin ou la sage-femme....

Maud : Déjà, il y a plein de femmes qui ne savent même pas qu'on peut accoucher à domicile, moi je ne m'étais même pas posé la question, ne serait-ce que ça. A priori quand on est enceinte, alors on s'inscrit à la maternité.

Jean-Claude : Mais -- Farida en avait admirablement bien parlé il y a deux ans, en refaisant tout le parcours de la jeune fille, de la première rencontre avec le gynécologue, et la femme qui pousse jambes écartées pour se faire examiner -- c'est tout un parcours, une inscription que la jeune fille fait dans tout le système médical qui va la conduire à accoucher de telle manière, et comme ça jusqu'à la ménopause.

1 : Je pense qu'il peut se passer pas mal de choses au moment X. Au moment ou l'on accouche, on est face à soi réellement, et je trouve qu'on comprend des choses. Même si l'on n'a pas eu de réflexion avant ... on peut se passer du système médical. Je ne sais pas si c'est la panique, ou... on peut sortir de la pression. Je pense que ce n'est pas uniquement la réflexion intellectuelle, les lectures, les machins... Je pense qu'il y a aussi quelque chose de très instinctif.

Maud : Oui, mais si on ne te le laisse pas vivre !

1 : Moi j'étais dans un endroit où on te foutait la paix.

Françoise J: Une maternité ou on t'a laissé tranquille... Accoucher sans intervenir ?

Jean-Claude : Ça arrive, ça arrive...

1 : C'est à Pithiviers. J'avais choisi.

Françoise J : Ah oui, à Pithiviers...

1 : Oui, mais c'est pas non plus l'idéal... J'ai eu une épisiotomie. Mais bon, on m'a un peu foutu la paix... On m'a pas proposé tout le temps « péridurale... » Et du coup, je trouve que l'hôpital un peu mieux, même si c'est pas un rêve, ça permet des choses, d'être face à soi-même, au moins un peu quoi.

Jean-Claude : Je vais revenir un petit peu en arrière avec ce que tu disais par rapport au nombre de sages-femmes qui existent. Par quoi les maisons de naissance vont-elles être remplies, finalement, par quelles sages-femmes ? Je lisais encore dans le magazine Elle de ce mois ci un reportage sur les maisons de naissance où Gisèle Steffen s'exprime également. Il y a cette sage-femme qui a co-écrit ce bouquin dont on a parlé sur la liste, Francine Dauphin. Elle est interviewée, et elle dit qu'il y aura des sages-femmes libérales, des sages-femmes salariées, tout un personnel qui va pouvoir travailler là-dedans... C'est vraiment analysé comme une structure médicale. Ce qui est en contradiction avec beaucoup de choses qu'on peut dire au niveau de la naissance.

Mais les sages-femmes qui ont l'habitude de travailler à l'hôpital ont un certain état d'esprit déjà au niveau de la formation, où l'on est très très fort orienté dans un esprit médical, les examens, etc., dans le sens du diagnostic, « le dossier », c'est vraiment très intellectualisé. Et ce sont ces sages-femmes là qui vont se retrouver dans les maisons de naissance. C'est pas n'importe quelles sages-femmes hospitalières qui vont se retrouver dans les maisons de naissance, ce sont les sages-femmes hospitalières qui en ont marre du système hospitalier, ou des sages-femmes qui ont des idéaux qui se réveillent subitement, des idéaux qu'elles ont eu pendant leurs études, et qu'elles n'ont jamais pu mettre en place pendant leur travail hospitalier. Et elles vont se retrouver avec une formation médicale, orientée vers le risque, dans les maisons de naissance avec plein d'idéaux. Pour elles c'est génial... Mais je me pose des questions par rapport à leurs agissements, à leurs attitudes.

Tout le côté interventionniste auquel elles sont formées. Je pose la question...

Maud : C'est ce que dit Françoise B, il lui faut un temps pour sortir du système hospitalier...

Florence : Ce qui fait agir, c'est plus la culture que les idéaux...

Jean-Claude : Il va y avoir plein de choses par rapport aux idéaux...

?? : Ça peut être aussi des prises de conscience

Jean-Claude : Les maisons de naissance, c'est bien dans ce sens là, parce que ça va faire sortir des sages-femmes du milieu hospitalier, les confronter à la réalité et non pas au monde aseptisé et factice de l'hôpital.

François : C'est une étape incontournable.

Jean-Claude : A mon avis, c'est la seule pour se diriger vers l'accouchement à domicile plus répandu. L'autre solution pour redévelopper l'accouchement à domicile, c'est de fermer carrément toutes les maternités. Non mais c'est vrai : j'ai espéré qu'il y ait un mouvement avec la grève des gynécos et la grève des sages-femmes, mais non !

Maud : Ça a été un peu honteux, parce qu'on les renvoyait de service en service, on les laissait s'agglutiner...

Jean-Claude : J'étais sur Gynélist à ce moment-là, c'était marrant de voir leurs réactions...

Maud : Oui, mais c'était pas marrant pour les femmes...

Jean-Claude : Ça non, mais justement, on a vu comment on respectait les femmes en milieu hospitalier...

Bernard : Je pense que dans toute cette discussion qu'on a -- par exemple, on disait tout à l'heure dans les maisons de naissance en Allemagne que les hôpitaux ont changé, mais que le taux de césariennes augmente -- je pense qu'il faut éviter de tomber dans le piège du système normatif. On va tout regarder d'après les statistiques, se polariser uniquement sur ces problèmes de taux de transfert, etc. Il faut quand même regarder aussi les cas individuels, c'est à dire que même si on avait 25% de taux de transfert vers l'hôpital, ce qui serait un taux catastrophique, même s'il y a 1, 2 ou 3%, un certain nombre de personnes qui vivent quelque chose de très beau là-dedans et qui font un pas suffisant, pour après peut-être accoucher à domicile, ou bien autre chose, même dans cette ultra-minorité qui va passer à travers ça, comme Stéphanie, ce mouvement aussi est important, car il prépare l'avenir.

Jean-Claude : Un chiffre intéressant, Stéphanie : quel pourcentage de femmes accouchent en maison de naissance ?

Stéphanie : 0,9 %.

Jean-Claude : Donc c'est le même nombre qu'il y a de naissances à domicile en France ou en Belgique. En France, le chiffre est juste en-dessous de 1%. Depuis 20 ans, c'est exactement la même chose. La natalité monte, descend, et le pourcentage d'accouchements à domicile bouge également. Donc c'est vraiment une proportion de la population.

Bernard : Comment est-ce qu'on arrive à répondre à ça? La réponse pour le Québec, c'était qu'il faut qu'il y ait plus de jeunes qui s'engagent... Sages-femmes ou autres, qui ont une approche différente...

Stéphanie : On parlait de la formation universitaire et des écueils que ça peut avoir. Par exemple, une fille a accouché à domicile alors qu'elle était en étude, et il y en plusieurs qui ont assisté... Je trouve ça intéressant de voir ce qui se passe.

La formation a toujours été axée sur le communautaire, au Québec, et les stages se font en maisons de naissance. 8 semaines en patho médicale, mais sur 4 ans, 3 ans sont strictement en maisons de naissance. Les filles réclament la naissance à domicile.

Jean-Claude : Je ne comprends pas pour quelle raison on parle que les maisons de naissance sont gérées exclusivement par les sages-femmes. Quand je lis ça, et c'était dans l'article de Elle, c'est vraiment l'expression d'une revendication d'une profession qui a été rabrouée encore et encore et qui veut vraiment démontrer « là, nous, on tient le bon bout, on a un pouvoir »... Par rapport à qui ? Par rapport aux médecins... Elles veulent démontrer quelque chose par rapport aux médecins, et non pas finalement défendre les femmes, les accouchements, etc.

Bernard : C'est leur autonomie à elles.

Jean-Claude : Voilà, c'est leur autonomie à elles, qu'elles vont pouvoir gagner grâce aux maisons de naissance. Ça n'a rien à voir avec un combat pour les femmes, pour les bébés, pour les hommes, etc.

Bernard : Il y a des femmes qui diraient : « Moi, si je vais dans une maison de naissance, j'aimerais bien qu'il y ait un médecin... »

Jean-Claude : Le problème, avec le médecin, c'est un médecin généraliste qui est diplômé pour les accouchements... Le problème, c'est qu'en général ils n'ont jamais vu un accouchement, à part celui de leurs propres enfants. Il n'ont plus l'occasion de le faire. Mais ils ont tout ce côté naturel, familial, qui pourrait être très chouette. Ou alors c'est des médecins spécialisés en obstétrique, et ce sont des robots du bistouri.... Je connais beaucoup de femmes obstétriciennes, c'est pire encore que les hommes. Et là....

Pour moi une maison de naissance doit être gérée non pas par des professionnels, mais par des citoyens, des citoyennes, par des parents, par des gens. Pour moi, ça doit être une association de ce type là où les professionnels peuvent être appelés par telle ou telle personne pour assister à la naissance. Mais au départ, pour moi, ce devrait être un mouvement citoyen.

Enregistrement transcrit par Maud Vivien

Suivre les liens...


Visitez les sites Internet et associations francophones pour une approche « citoyenne » de la naissance
<http://naissance.ws>