Questions de naissance

Adeline Laffitte

Association « Naissance et Citoyenneté »

Questions de Femmes, juillet 2000

Naissance : ce que veulent vraiment les parents

Réunis à Nantes, les 5 et 6 mai 2000, parents, obstétriciens et sages-femmes ont fait le point sur leurs pratiques et les changements nécessaires pour rendre les accouchements un peu « humains ». Echos.

Un enfant si je veux, quand je veux... et COMME je veux ! Voilà la dernière revendication en date de quelques féministes et de nombreux parents. C'est en tout cas ce qui est ressorti des journées « Naissance et Citoyenneté ». Une rencontre entre parents et professionnels (des obstétriciens et des sages-femmes). Objectif : échanger. Car il est de notoriété publique que 10 minutes de consultation, même une fois par mois, pendant neuf mois, c'est peu. Et pendant ces deux jours, les "parents" ont donc fait savoir ce qui, selon eux, n'allait pas.

Surprise, ce n'est pas tant le thème -- généralement inépuisable -- de la sécurité qui est revenu, mais bel et bien celui des rapports humains, comme dans beaucoup d'autres domaines de la médecine. A ceci près, que grossesse et accouchement ne sont pas des maladies.

Stop aux phrases assassines

« On vous déclenchera à 8 mois et demi, ça vous permettra de vous organiser...  ». « On a toujours fait comme ça, vous n'avez pas le choix.  » « Avec la tête que vous avez, vous n'êtes pas prête d'accoucher.  » Etc. Qui n'a pas entendu ces petites phrases, ou d'autres, et qui ont comme fâcheuse conséquence de vous rappeler que, décidément, à l'hôpital, vous n'avez rien à dire? Même s'il s'agit de VOTRE accouchement.

« Nous ne voulons pas d'un cadre prédéfini pour les accouchements, mais être des partenaires responsables et si vous devez intervenir, expliquez nous les gestes et les conséquences », ont lancé Karine, Tony et Sandra aux obstétriciens et sages-femmes présents à Nantes. « Il n'y a pas, disent-ils, d'un côté le soignant savant et de l'autre le parent ignorant à qui l'on impose un moule et un accouchement standard. »

Au sommaire de leurs revendications, on note aussi le souhait d'accoucher en compagnie de quelqu'un qu'ils connaissent. « Actuellement, ce souhait est partagé par beaucoup et la principale solution réside dans un suivi par un gynécologue-obstétricien qui s'engage à faire l'accouchement dans une clinique privée. En réalité, la sage-femme accompagne tout le travail et Monsieur pointe son nez, et éventuellement ses forceps, les dernières minutes. Ce n'est pas ça un accompagnement de bout en bout », constate amèrement Sophie Gamelin, 27 ans, mère de trois enfants et présidente d'une nouvelle association, dont le nom, « Naissance et Citoyenneté », est issu justement des journées nantaises.

Un lieu plus convivial

Pour Éric Despretz, vice-président de la fédération de parents « Naissance et Libertés », les rapports entre praticiens et parents, s'améliorent. Doucement. Néanmoins, à ses yeux, la maternité est trop souvent un lieu d'isolement. « Les parents sont transportés dans des lieux qui fonctionnent avec leur propres règles, dit-il. Il faudrait retrouver un espace de convivialité. Pourquoi se contenter d'une machine à café comme point de ralliement ou de rencontre ? Et encore, quand il y en a une... Pourquoi ne pas imaginer des vrais lieux de vie ? » Bref, une extension du domicile à la maternité. Et voilà le père de famille (2 enfants de 10 et 7 ans 1/2) se prenant à rêver d'une cuisine où les nouveaux papas prépareraient le dîner...

On en est loin. D'autant que la réalité sanitaire et politique nous ramène abruptement au coeur de ces maternités de plus en plus grandes. L'heure est aux regroupements et à la fermeture des petites structures. « Plus la taille des maternités grandit, plus les relations sont distendues. Or actuellement, c'est bien vers ces usines à bébés que l'on se dirige », résume Jean Ossart, directeur des Dossiers de l'Obstétrique, une revue professionnelle à destination des sages-femmes.

Plus d'infos

Enfin, les uns et les autres ne peuvent s'empêcher de penser que ces dysfonctionnements sont dûs à un cruel manque d'information. « Je trouve terrible d'entendre des parents avouer avoir été dépossédés de leur accouchement. Ils ne s'en rendent compte qu'a posteriori, et cela les blesse, les culpabilise. Ils estiment qu'ils auraient dû s'informer davantage », résume Karine Creunier, une maman nantaise. Selon elle, c'est surtout la nature de l'information qu'il faut changer. « Dans les journaux, on ne voit que ce que disent les médecins et leur vision est très technique, empreinte de risques et cela renforce le sentiment d'incompétence des parents qui, eux, témoignent rarement.  » Sophie Gamelin, elle, s'agace que cette information soit orientée sur le mode « Ne vous inquiétez pas, de toute façon on est là », ce qui permet de ne pas vraiment informer.

Il s'agirait également de montrer que ce beau discours médical a parfois des failles. Exemple : le monitoring, cette machine utilisée pendant l'accouchement pour surveiller parallèllement le rythme cardiaque du bébé et les contractions utérines. Certaines maternités le posent sur le ventre maternel et le laissent branché en permanence. D'autres se contentent d'une surveillance d'une demi-heure puis débranchent la machine pour permettre à la maman de bouger plutôt que d'attendre passivement. Entre les deux pratiques, il n'y a aucune différence du point de vue de la surveillance, si ce n'est une légère augmentation du nombre de césariennes lorsque le monitoring est branché continuellement ! Voilà l'une des pratiques que les parents voudraient voir évoluer.

Halte à la domination médicale

Sur la liste des griefs, on note aussi la position gynécologique trop souvent imposée à la femme alors qu'elle pourrait accoucher assise ou accroupie. Une position imposée au fil des siècles par les médecins, et pour faciliter leur surveillance. Pourtant cette position rend parfois plus douloureuse la descente du bébé. Dans ce système un peu trop hiérarchique à leur goût, les parents souhaiteraient davantage d'écoute entre deux examens. Mais, « combien de praticiens interrogent une femme en lui demandant simplement comment elle se sent ? » demande Christine Isola, sage-femme surveillante. « On lui prend la tension, le taux de ci, de ça, mais jamais son avis. Alors qu'elle est la mieux placée pour dire comment se porte son bébé. »

Allons, quoi ! Cela irait-il si mal dans nos maternités ? « C'est vrai, l'accouchement est devenu un acte chirurgical dans beaucoup de maternités », admet le Dr Claude Émile Tourné. Oui, bien sûr, l'accouchement en France est très médicalisé : une surveillance pointue pendant la grossesse (7 visites prénatales, des échographies, des examens sanguins...) et un accouchement technique (surveillance par monitoring, perfusion de glucose, péridurale pour pas souffrir). Mais la sécurité est au rendez-vous, n'est-ce pas ? « Le mot sécurité enferme tout », répond le Dr Philippe David. « Dès qu'un couple a une demande qui parait anti-institutionnelle, elle est perçue comme dangereuse pour la vie de la mère et de l'enfant. Or, c'est à la femme de décider de la façon dont elle va accueillir son bébé, dès lors que la grossesse se déroule normalement. »

Au bout de ces deux journées de critiques et d'espoirs, il est peu vraisemblable que la machine obstétricale change subitement. Mais il semble que la lutte contre le « mal-naître » s'organise...


Sites Internet et associations francophones pour une approche « citoyenne » de la naissance