Préliminaires
Exposé
de James W. Prescott
Discussion
Audition, le 11 avril 1978, de James W. Prescott à titre de témoin devant le Comité sénatorial permanent de la santé, du bien-être et des sciences, Sénat du Canada, troisième session de la trentième législature, 1977-1978.
Facsimilé de la page de couverture (JPEG, 65K)
Troisième session de la trentième législature, 1977-1978
SÉNAT DU CANADA
Comité sénatorial permanent de la santé, du bien-être et des sciences
Délibérations du sous-comité sur la
Président: L'honorable FRED A. McGRAND
Le mardi 11 avril 1978,
Fascicule no 15
TÉMOIN:
Dr. James W. Prescott, Growth and Development Branch, National Institute of Child Care and Human Development, Bethesda, Maryland, U.S.A.
26340-1
SOUS-COMITÉ SUR LA DÉLINQUANCE IMPUTABLE AUX EXPÉRIENCES DE L'ENFANCE
Président: L'honorable Fred A. McGrand
Vice-président: L'honorable E. G. Cottreau
Les honorables sénateurs:
Bonnell |
McElman |
(Quorum 3)
Publié en conformité de l'autorité du
Sénat par l'Imprimeur de la Reine pour le Canada
En vente: Imprimerie
et Édition, Approvisionnements et Services Canada, Hull, Québec,
Canada KIA OS9
Extrait des procès-verbaux du Sénat du jeudi 3 novembre 1977:
«Avec la permission du Sénat,
L'honorable sénateur Bonnell propose, appuyé par l'honorable sénateur McGrand,
Que le Comité permanent de la santé, du bien-être et des sciences soit autorisé à faire enquête et rapport sur les expériences d'avant la naissance et du début de l'enfance qui peuvent provoquer par la suite des troubles de la personnalité ou la délinquance et à étudier et recommander les mesures correctives et préventives y afférentes dont on peut raisonnablement espérer obtenir une réduction de la fréquence des crimes et de la violence dans la société;
Que le comité ait le pouvoir de retenir les services d'avocats, de personnel et de conseillers techniques qu'il jugera nécessaire aux fins de ladite enquête;
Que les documents et les témoignages recueillis sur ce sujet au cours des deux dernières sessions soient déférés au Comité; et
Que le Comité soit autorisé à siéger pendant les ajournements du Sénat.»
La motion, mise aux voix, est adoptée.
Le greffier du Sénat
Robert Fortier
Clerk of the Senate
Extraits des procès-verbaux du Comité sénatorial permanent de la santé, du bien-être et des services, du jeudi 10 novembre 1977:
«1. Que soit créé un sous-comité qui porterait le nom de sous-comité sur la délinquance imputable aux expériences de l'enfance, qui serait composé d'au plus onze sénateurs, et dont le quorum serait constitué par la présence de trois membres.
2. Que le sous-comité sur la délinquance imputable aux expériences de l'enfance soit autorisé à faire enquête et rapport sur les expériences d'avant la naissance et du début de l'enfance qui peuvent provoquer par la suite des troubles de la personnalité ou la délinquance et à étudier et recommander les mesures correctives et préventives y afférentes dont on peut raisonnablement espérer obtenir une réduction de la fréquence des crimes et de la violence dans la société;
Que le sous-comité ait le pouvoir de retenir les services d'avocats, de personnel et de conseillers techniques qu'il jugera nécessaire aux fins de ladite enquête;
Que les documents et les témoignages recueillis sur ce sujet au cours des deux dernières sessions soient déférés au sous-comité; et
Que le sous-comité soit autorisé à siéger pendant les ajournements du Sénat.»
Le greffier du Comité
Patrick Savoie
Clerk of the Committee
LE MARDI 11 AVRIL 1978
(16)
[Traduction]
Le Sous-comité sur la délinquance imputable aux expériences de l'enfance se réunit aujourd'hui à 17 heures sous la présidence de l'honorable sénateur McGrand (président).
Présents: Les honorables sénateurs Bonnell, Cottreau, Inman, Lucier, McElman, McGrand et Smith (Queens-Shelburne). (7)
Présents mais ne faisant pas partie du Comité: Les honorables sénateurs Anderson et Bird. (2)
Aussi présent: De la Bibliothèque du Parlement: Mme Helen McKenzie, recherchiste.
Le Sous-comité poursuit l'étude de son ordre de renvoi du 10 novembre 1977.
Témoin: M. James W. Prescott, Ph.D., Health Scientist Administrator, Development Behavioral Biology, Human Learning and Behavior Branch, National Institute of Child Health and Human Development, Bethesda, Maryland, U.S.A.
Le président présente M. Prescott. Le témoin fait une déclaration. Au cours de la présentation, M. Prescott projette des diapositives et un film et fait des commentaires pertinents. Le témoin répond ensuite aux questions qui lui sont posées par les membres du Sous-comité.
A 18 h 45, le Sous-comité suspend ses travaux jusqu'à nouvelle convocation du président.
ATTESTÉ:
Le greffier du sous-comité
Patrick Savoie
Clerk of the Subcommittee
Ottawa, le mardi 11 avril 1978
[Traduction]
Le Comité sénatorial permanent de la Santé, du Bien-être et des Sciences se réunit aujourd'hui à 17 heures afin d'étudier les expériences prénatales et de première enfance qui peuvent provoquer, par la suite, des troubles de la personnalité ou de la délinquance.
Le sénateur Fred A. McGrand (président) occupe le fauteuil.
Le président: Honorables sénateurs, nous avons aujourd'hui avec nous M. James W. Prescott, qui est neuropsychologue du développement et administrateur du département des connaissances humaines et du comportement à l'Institut national de pédiatrie et de développement de Bethesda (Maryland). Il est membre du conseil d'administration de l'American Humanist Association. Il a consacré plusieurs de ses travaux aux origines de la violence et a effectué des travaux de recherche qui établissent un lien entre la violence humaine et la privation d'affection physique au cours des premières étapes de la vie.
M. Prescott a par devant lui des diapositives et des films dont il souhaite nous faire prendre connaissance.
M. Prescott, je vous laisse maintenant choisir la façon dont vous voulez nous transmettre votre message.
M. James W. Prescott, Institut national de pédiatrie et de développement de Bethesda (Maryland) Etats-Unis: Merci, monsieur le président. Je voudrais commencer par quelques remarques préliminaires qui seront suivies par un film, qui, je pense, indiquera clairement ce que je veux dire. Nous continuerons avec les diapositives, je présenterai ensuite un exposé, qui, si vous le voulez bien, sera suivi par une discussion.
Je voudrais tout d'abord vous remercier, monsieur le président, du privilège de m'avoir invité à partager avec vous certaines données que nous avons rassemblées sur le sujet qui nous intéresse aujourd'hui. Je voudrais indiquer, pour le compte rendu, que le point de vue que je vais exprimer est mon point de vue personnel et qu'il ne traduit pas nécessairement celui de l'Institut avec lequel je collabore.
Le sujet qui m'intéresse principalement est celui des effets des premières expériences de la vie sur le développement du cerveau et sur le comportement. A ce titre, je me suis notamment efforcé de comprendre les effets de ce que l'on a appelé la privation sociale maternelle, ou l'isolement social du nouveau-né. Mon intérêt a été suscité par les études expérimentales sur les animaux réalisées par MM. Harlow, Mason, Berkson et autres, qui ont montré que lorsqu'on séparait des singes nouveaux-nés de leur mère, ils s'en trouvaient bientôt sérieusement perturbés au plan émotionnel. Ces animaux manifestaient des comportements autistiques et des stéréotypes de balancement, puis au cours de la jeunesse et de l'âge adulte, ils se comportaient de façon pathologique et extrêmement violente. C'est cette violence qui a attiré mon attention.
Au départ, je me suis efforcé de déterminer ce qui, dans l'expérience de la séparation et de l'isolation, avait pu provoquer ce comportement pathologique violent. Après l'étude de
certains ouvrages, il m'est paru évident que c'était la privation de contact corporel et de mouvements du corps qui avaient provoqué ces troubles émotionnels. Ceci est directement lié à ce que nous savons sur le développement du cerveau des primates. Notre cerveau est très immature à la naissance. Il a besoin de stimulations sensorielles pour s'épanouir, se développer et fonctionner normalement.
Si le sujet ne reçoit pas suffisamment de stimulation sensorielle, le cerveau se développe anormalement et fonctionne anormalement. Lorsque le sujet n'a pas suffisamment de contacts, d'affection physique, ou de chaleur affective et qu'il subit un manque de liens affectifs, il en découle des conséquences directes sur la façon dont le cerveau se développe et fonctionne. Les jeunes enfants et les jeunes animaux qui sont privés de stimulation sensorielle au cours de la période formative du développement du cerveau élaborent des systèmes biologiques de fonctionnement et de structure du cerveau qui prédisposent leur organisme -- qu'il s'agisse d'animaux ou d'enfants -- à un comportement pathologique violent.
Cela m'a incité à réaliser des études culturelles contradictoires qui m'ont permis d'établir un lien entre la privation d'affectation physique et de chaleur dans la relation enfant-parent à la violence physique dans les cultures considérées.
Mes prévisions se sont avérées très justes. Dans l'étude initiale, j'ai considéré 49 cultures primitives réparties sur l'ensemble du globe, et j'ai été en mesure d'établir une classification exacte de la violence physique pour 48 de ces 49 cultures primitives. Toutes ces données figurent sur des diapositives, et je vous les présenterai de façon détaillée après la projection du film.
Grâce à cette grande variété de documents émanant des études expérimentales sur les animaux, des études culturelles contradictoires et également d'études par questionnaires que j'ai réalisées avec les prisonniers, j'ai acquis la certitude que l'élément clé dans cette question est le manque de chaleur dans les relations humaines, à commencer par la relation parent-enfant. C'est à mon sens un facteur prépondérant dans le développement de l'aliénation, de la psychopathologie, de la violence et de l'agressivité et, je pense pouvoir l'ajouter, de l'usage des drogues et de l'alcoolisme.
L'expérience de l'affection physique dans les relations humaines est nécessaire à un fonctionnement émotionnel normal. Un sujet privé de ces expériences doit chercher d'autres émotions, notamment par la violence. Le sujet privé d'affection a tendance à se tourner vers la violence plutôt que vers le plaisir, ou bien vers l'alcool ou les drogues, pur réduire la tension physique, la douleur et le sentiment de malaise dus à ce genre de privation.
Ce type de relation deviendra de plus en plus évident lorsque nous aurons vu la première partie du film, et je commenterai le film en cours de projection. Ensuite, nous passerons aux diapositives pour présenter les données de façon plus systématique. je voudrais indiquer que même si cette théorie de la privation d'affection physique semble quelque peu simpliste, elle est extrêmement complexe au niveau de la façon dont notre société structure son environnement, empêchant les parents de communiquer à leurs Jeunes enfants l'affection physique dont ils ont besoin pour se développer normalement. On en trouve un exemple évident dans le processus de l'accouchement: la pratique médicale ordinaire suivie par les hôpitaux consiste à séparer le nouveau-né en bonne santé de sa mère dès la naissance. Ceci est extrêmement néfaste. Je reviendrai là-dessus à propos de l'avis de Benjamin Spock.
Il existe, dans notre culture et dans notre société, de nombreux aspects qui nous empêchent d'établir les relations affectives indispensables au développement d'un comportement affectueux et paisible profondément ancré dans les mécanismes du cerveau et qui s'oppose au comportement violent.
Certaines parties du film que je vais montrer sont accompagnées d'une bande sonore, alors que certaines autres ne le sont pas. J'essaierai de commenter le film sur un fond sonore. Je voudrais que vous entendiez et que vous voyiez le comportement des animaux qui ont été isolés, et le traumatisme qu'ils manifestent lorsque l'on s'occupe d'eux après une période de privation de contact.
Ce qui est vrai pour ces animaux l'est aussi pour les enfants et pour les adultes. Les sujets qui ont une expérience de privation d'affection physique ont énormément de difficultés à accepter par la suite un contact ou une relation affective. Les adultes qui ont eu une expérience de cet ordre ont énormément de difficultés sur le plan sexuel et au niveau de leur faculté d'établir des relations affectives. C'est là un des aspects déterminant de la psychopathologie.
Nous allons voir tout d'abord une étude réalisée sur des singes qui ont été séparés de leurs mères à la naissance. Je voudrais que vous remarquiez le comportement émotionnel anormal de ces animaux. Ensuite, nous passerons à des documents réalisés avec des enfants qui ont été isolés.
Je sais que notre temps est limité, mais j'ai un deuxième film intitulé «Rock-a-bye Baby» que nous pourrons projeter à la fin de la séance pour ceux qui voudront le voir, ainsi qu'une bande vidéo de dix minutes réalisée par la station CTV de Toronto à partir de mes recherches. Dans la réalisation de cette bande vidéo, j'ai trouvé que CTV avait fait un excellent travail en intégrant certains de ces principes aux données de l'étude culturelle contradictoire pour dégager la violence humaine. Encore une fois, cet enregistrement dure 10 ou 11 minutes, et nous pourrons également en prendre connaissance, si cela intéresse des membres du comité.
Nous passons maintenant au film. Vous voyez sur l'écran un singe âgé de dix mois. Il a été élevé seul dans une cage. Vous pouvez également voir la mère adoptive qui se balance. Le deuxième animal que vous voyez à été élevé avec le substitut immobile. Comme vous pouvez le voir il a le comportement autistique stéréotypé.
L'animal qui a été élevé avec la mère adoptive qui se meut, ne présente pas les aspects anormaux du comportement qui consiste à être déprimé, replié sur lui-même, comme dans l'autisme, avec le comportement stéréotypé du sujet qui se balance. il n'a pas peur qu'on le touche. Ce que vous voyez dans le film, c'est la première fois qu'il a l'occasion d'être en contact avec un être humain, et il ne manifeste aucune crainte. il ne se dérobe pas lorsqu'on le touche ou n'évite pas le contact.
Dans la scène suivante, nous avons le même test avec préposé et le petit singe qui a été élevé avec le substitut qui était fixé au plancher. Évidemment cet animal ne pouvait pas se mouvoir. Comme vous le voyez, l'animal présente des signes d'autisme et est replié sur lui-même. Il évite de toucher et d'être touché. Ce sont les débuts de l'aliénation, la disparition du lien affectif. De sorte que le mouvement au cours de la période postnatale initiale devient extrêmement important pour comprendre le développement de ce genre de troubles subjectifs. C'est ce qui m'a incité à entreprendre des études compares de cultures, dans lesquelles on touche, on tient et on porte habituellement les enfants en bas âge.
La scène suivante a été tirée de certaines études que j'ai effectuées pour juger le comportement social de petits singes élevés dans l'isolement. Lorsqu'on augmente le volume du son Pour cette scène, on se rend compte comment ces animaux élevés dans l'isolement deviennent traumatisés lorsqu'on les touche. Vous remarquerez les membres ballants, c'est une posture catatonique. C'est le comportement qu'on constate chez les schizophrènes catatoniques.
Le chantonnement que vous entendez est le comportement du sujet qui pleure. Là encore, nous voyons les membres ballants dans l'attitude catatonique, c'est un singe de graves troubles subjectifs.
Privé d'attouchement et d'affection, l'attouchement devient trop traumatique pour ces animaux. Leurs corps est semblable à un plâtre, il est très rigide. ils urinent et défèquent lorsqu'on les tient, et ils retombent dans leur comportement stéréotypé qui consiste à se balancer.
Le comportement normal de ces animaux consiste en beaucoup d'attouchements et de lèchements. C'est l'aspect dominant de leur comportement social. Nous avons complètement perturbé chez ces animaux le genre de comportement affectueux et normal en les maintenant dans l'isolement. En ce sens qu'ils ont été élevés seuls dans des cages et qu'ils ne pouvaient pas toucher d'autres animaux ou être touchés par eux. C'est le genre de troubles pathologiques qui en résultent.
Je veux vous montrer une autre scène, parce qu'elle me permet de faire d'autres commentaires sur ces animaux. Ce sont des animaux de dix et douze ans. Ils sont complètement adultes. Ils étaient si violents que les préposés ne pouvaient plus les tenir pour effectuer les tests. Par conséquent, on les a envoyés au laboratoire du docteur A. I. Berman pour qu'ils subissent une opération chirurgicale exploratoire du cerveau. Je n'entrerai pas dans les détails à ce sujet ici, mais je signalerai simplement que c'est la première fois qu'ils ont été placés dans une cage ensemble, et ce sont les attouchements qui les incitent à la violence. Ce n'est pas la vue, l'odorat ou l'ouïe, qui les incitent à la violence mais le fait de toucher.
Lorsqu'on augmente un peu le volume du son vous verrez comment les attouchements provoquent chez eux des impulsions agressives. Là encore, il s'agit d'un comportement très anormal pour ces animaux. Leur comportement normal consiste à faire des gestes menaçants pour maîtriser la violence. Remarquez le regard de ces animaux qui rappelle l'autisme, lorsqu'ils fixent le vide, là encore c'est une répercussion de leur élevage dans l'isolement. Ces animaux sont élevés seuls dans des cages, et n'ont pas eu l'occasion de procéder aux attouchements et aux lèchements normaux.
Dans la scène suivante du film, nous voyons se manifester l'impulsion agressive pathologique lorsque la barrière a été enlevée. Une fois que ces animaux ont appris à attaquer, il n'y a plus de mécanisme de contrôle pour juguler leur violence. C'est une impulsion pathologique qui les pousse immédiatement à se battre. Là encore c'est une des répercussions classiques de leur élevage dans l'isolement.
Avant de passer aux diapositives, je voudrais faire une remarque au sujet de notre propre culture, dans laquelle l'absence d'attouchements et d'affection est passée dans nos propres pratiques pour élever les enfants, ce qui à mon avis, a entraîné l'aliénation qui provoque des troubles subjectifs et des actes de violence dans notre société.
Le docteur Benjamin Spock en a enfin parlé dans son fameux «baby book». J'ai beaucoup de respect pour le docteur Spock, et j'aimerais citer une brève déclaration qu'il a faite. Elle a une histoire que vous avez entendue auparavant. Marie van Stolk, dans le témoignage qu'elle a fait auparavant devant votre Comité a mentionné le manuel de pédiatrie du docteur Emmell Holt «The Care and Feeding of Children» publié en 1894 et qui était le manuel classique de pédiatrie de l'époque. Il disait aux parents que c'était mauvais de prendre, de tenir et de bercer leurs enfants en bas âge. Ce conseil a effectivement influé considérablement sur la façon dont les mères s'occupent de leurs enfants en bas âge. Malheureusement, les conseils du docteur Spock ont maintenu cette tradition.
Je vais maintenant citer un passage de son chapitre sur la question de gâter les enfants. Il parle de la situation où le bébé a été nourri, la mère lui a mis des couches propres et ensuite elle le met dans son berceau, et le bébé commence à pleurer. Que faut-il faire? Voici ce qu'il écrit:
Il est habituellement facile de faire perdre l'habitude une fois que les parents se rendent compte qu'elle est aussi mauvaise pour le bébé que pour eux. Le moyen de lui faire prendre de bonnes habitudes est simple. Mettez le bébé dans son berceau à l'heure normale. Dites-lui bonsoir affectueusement mais fermement, quittez la chambre et n'y retournez pas. La première nuit, la plupart des bébés qui ont acquis cette habitude pleurent furieusement durant vingt ou trente minutes. Lorsqu'il voient qu'il ne se produit rien ils s'endorment soudainement. La deuxième nuit, ils pleureront probablement durant dix minutes seulement. La troisième nuit ils ne pleureront pas du tout.
Et il a tout à fait raison, mais en fait vous avez rendu le bébé déprimé et replié sur lui-même. Le bébé est replié sur lui-même et détaché subjectivement de ses parents. Je pense que cette façon de procéder a joué un grand rôle dans notre propre société qui a suivi ce conseil.
Ce n'est qu'un de l'ensemble de facteurs dans notre société dans laquelle nous ne prenons pas nos bébés ou nos enfants, ne les portons pas et ne leur donnons pas l'affection qui permet de développer ce lien affectif important. Une fois que vous détruisez ce lien, ou une fois que vous l'empêchez de se développer, il est extrêmement difficile de le recréer ou de le redévelopper.
La question qui nous intéresse est de savoir comment nous développons la compassion chez les individus, parce que la personne violente, la personne qui se sert des autres, n'est pas compatissante.
La faculté d'éprouver de la compassion et de la sympathie pour la souffrance des autres est enracinée dans le développement de ces relations affectives qui commencent à la naissance. C'est le message que je tiens essentiellement à vous communiquer.
Je voudrais maintenant passer au diapositives afin de vous fournir certaines données qui corroborent ce point de vue.
Si vous permettez que je revienne en arrière un instant, je voudrais à nouveau insister sur l'importance biologique fondamentale de la stimulation sensorielle pour le développement de l'enfant. Ce que nous voyons sur cette diapositive est simplement un exposé des fonctions du mammifère dans lesquels certains processus sensoriels sont plus importants que d'autres durant les périodes de développement du nouveau-né. Cette diapositive tirée des études de M. Gottlieb illustre que d'un point de vue fonctionnel, le système tactile ou cutané est le plus développé chez les mammifères à la naissance, suivi du vestibulaire ou système du mouvement, qui consiste par exemple à prendre, à porter ou à bercer l'enfant. Vient ensuite le système auditif et, enfin, le système visuel. Par conséquent, les systèmes sensoriels de l'ouïe et de la vue sont les dernières fonctions à se développer. Cette constatation sert de fondement biologique ou de substrat, pour témoigner de l'importance prédominante du toucher et du mouvement dès le début de la période postnatale. C'est le seul point que je voulais vraiment vous faire comprendre ici.
D'autres données laissent croire que le système du mouvement, c'est-à-dire le système vestibulaire, est en fait plus important plus tôt, simplement, parce que l'appareil sensoriel vestibulaire est entièrement entouré de myéline à la naissance, ce qui n'est pas le cas du système tactile. Ici encore, je veux indiquer l'importance prédominante de ces modes sensoriels de stimulation pour le nouveau-né.
La diapositive suivante illustre un autre aspect des données biologiques, que je juge vraiment crucial pour bien comprendre le fondement biologique des comportements dont je discute. Je me suis inspiré d'une étude de MM. Volkmar et Greenough, qui ont élevé des rats dans des conditions variables d'isolement. Vous voyez ici, dans le coin inférieur gauche, une cellule du cerveau, ou neurone. Vous apercevez le protoplasme et tous ces prolongements. Ces chercheurs ont découvert qu'entre des animaux élevés dans des conditions d'isolement social (condition CI) des animaux élevés en couple (CS) et des animaux élevés dans un climat enrichi (CE), soit avec au moins 12 animaux, il existe d'importantes différences dans la complexité du neurone cérébral. En d'autres termes, on note moins de prolongement dendritiques chez les animaux qui ont été privée du toucher, du contact corporel et du mouvement. C'est ce qui explique au niveau du cerveau, l'inaptitude ou la capacité affaiblie des animaux à se comporter d'une manière affectueuse en société, d'où la violence et l'agressivité. Je désire vous souligner que cette stimulation sensorielle hâtive est absolument essentielle au développement biologique normal du cerveau.
Il existe une diversité d'autres changements qui se produisent dans le cerveau mis à part les changements structuraux. Les systèmes de transmetteurs neurochimiques du cerveau sont modifiés, tout comme l'activité électro-physiologique, comme nous le verrons dans la prochaine diapositive
Ici vous voyez une grande activité qui prend la forme de pointes représentant d'importantes décharges électro-physiologiques. Il s'agit là d'un fonctionnement électro-physiologique anormal du cerveau, qui s'est manifesté chez des singes élevés dans des conditions d'isolement, ce que vous montre le film. Ces profondes décharges cérébrales ont toujours été liées à la violence pathologique chez les humains. Je veux essayer de vous faire comprendre qu'une explication biologique à la privation sensorielle prédispose les animaux qui souffrent de ce genre de condition cérébrale à un comportement violent et agressif. Ces types de comportement ne sont pas lies à des génotypes précis, mais sont plutôt dus à la qualité de l'environnement sensoriel, social et physique, qui a une profonde influence sur la façon dont notre cerveau se développe et fonctionne.
La diapositive suivante indique que notre comportement sexuel est aussi gravement entravé par cette éducation en isolement. On voit dans les illustrations A et B la posture sexuelle normale du singe Rhésus et en C et D, leur posture sexuelle anormale. Ce sont ces animaux qui ont été isolés. On voit ici à quel point la sexualité est influencée par cette seule privation. A titre d'adultes, nous manifestons les uns aux autres notre affection, ou bien nous devenons sexuellement violents. C'est ce qui nous permet de comprendre, à mon avis, pourquoi la sexualité dans notre société tend à exploiter et à agresser plutôt qu'à être affectueuse et enrichissante. Diapositive suivante, s'il vous plaît.
On peut citer comme autre conséquence de cette privation les sévices infligés aux enfants. Ici nous avons une diapositive qui montre une guenon élevée en isolement, et qui repousse énergiquement l'enfant accroché à ses seins. En d'autres termes, on note une intolérance au contact corporel, comme vous l'avez vu plus tôt dans le film. On en voit la répercussion au niveau adulte. Diapositive suivante, s'il vous plaît.
Ici nous voyons le singe orphelin de mère écraser la tête de son enfant contre la porte de la cage. Il s'agit encore une fois d'un geste extrêmement pathologique pour ces animaux, qui ne se comportent jamais de cette façon lorsqu'ils sont élevés normalement. Ces mères n'hésiteront pas à attaquer physiquement et à tuer leur enfant à moins de ne pas en faire de cas. Il faut intervenir pour sauver la vie de ces animaux. A mon avis, ces études sur les animaux primates fournissent un excellent modèle animal qui nous permettra de comprendre le comportement humain similaire, qu'illustre la prochaine diapositive.
Il s'agit d'un cas des sévices à l'égard d'un enfant. Comme nous le savons, ces cas prennent des proportions épidemiques aux États-Unis, et je crains que l'ampleur du problème ne soit similaire au Canada. Nous avons constaté que ces cas présentaient en bas âge des situations non seulement de mauvais traitements mais surtout de négligence, c'est-à-dire de privation d'affection et de contacts physiques. MM. Steel et Pollock de l'université du Colorado à Denver, ont étudié trois générations de familles qui maltraitaient leurs enfants et ont découvert que même si les enfants recevaient des soins appropriés, des aliments etc., ils étaient privés de ce qu'on appelle les soins maternels -- le toucher, l'affection physique et l'éducation. Il est évident que le père peut donner cette affection tout aussi bien que la mère. Je ne veux pas exagérer le rôle de la mère dans tout ce processus. C'est un autre aspect de l'échec de notre société: les hommes, à titre de pères, ne sont pas de bons éducateurs et ne sont pas portés à être démonstratifs envers leurs enfants.
Voici un autre aspect du comportement de ces parents adultes qui maltraitent leurs enfants: ils tirent très peu de plaisir de leur vie quotidienne, et leur vie sexuelle est hautement perturbée. Ils tirent très peu de plaisir de leurs activités sexuelles. Nous retrouvons constamment une inaptitude à expérimenter le plaisir et l'affection dans leurs relations humaines et cette incapacité est reliée à l'expression de la violence physique. Diapositive suivante, s'il vous plaît.
Je veux souligner ici que le problème est très complexe. Il a des sources philosophiques et religieuses. Le 25 janvier 1974, un article a paru dans le magazine New Times au sujet d'un ministre qui dirigeait une institution pour filles, et qui croyaient littéralement aux proverbes au point de punir les enfants de leur mauvaise conduite. Je voudrais vous le citer parce que nous devons comprendre les fondements religieux qui prescrivent la violence corporelle, à titre de valeur morale élevée. Cela fait partie de notre problème et je pense que nous devons étudier cet aspect. La citation est brève, la voici:
«N'hésitez pas à corriger un enfant, car si vous le frappez avec un bâton, il n'en mourra pas. Vous devriez donc le battre et délivrer son âme de l'enfer.» (Proverbes 23:13-14).
Je dois souligner que le 19 avril 1977, la Cour suprême des États-Unis a maintenu le droit de l'État de châtier corporellement dans les écoles, même contre les objections des parents, et les autorités responsables ont dit, à l'appui de cette décision qu'une telle mesure forgeait le caractère moral. Si, aux États-Unis, où évolue une société comme la nôtre, la Cour suprême appuie la punition corporelle des enfants, faut-il s'étonner de l'existence d'une culture axée sur la violence? La violence, les sévices et la négligence dont sont victimes les enfants résultent d'attitudes répandues et fortement enracinées et ne se réduisent pas simplement au problème d'un parent qui frappe son enfant.
La diapositive suivante nous montre le frère Lester Roloff qui dirigeait un établissement pour jeunes filles délinquantes. Au cours des audiences du tribunal, il a émis le commentaire suivant: «Il vaut mieux des fesses roses qu'une âme noire». Le procureur de l'État du Texas, le procureur général John Hill, a rétorqué à cela: «Je n'ai rien contre les derrières roses, mais je ne saurais souffrir que certains soient noirs, bleus ou ensanglantés.» Cela fait partie de la transcription et donne la dimension du problème.
La diapositive suivante est une reproduction de la «Vierge Marie qui bat l'enfant Jésus,» de Max Ernst. Elle sert à démontrer combien il est courant dans notre société de battre les enfants. C'est un acte qui est largement appuyé par notre société.
Je voudrais maintenant parler des études inter-culturelles qui montrent les conséquences néfastes de la punition corporelle et font état de la relation relative au manque d'affection, qui y correspond. Les données proviennent des dossiers du domaine des relations humaines. Elles vous seront fournies intégralement pour qu'il en soit fait mention dans votre procès-verbal officiel. Je voudrais souligner certaines relations statistiques importantes. Les données sont tirées de l'ouvrage «A Cross Cultural Summary» de R. B. Textor (1967). On y trouve les caractéristiques du comportement social des cultures où le facteur nutrition sert à punir l'enfant. [Voir tableau 2] Les cultures en question pratiquent l'esclavage. Si nous passons aux éléments soulignés, nous constatons que le nouveau-né ne reçoit que peu d'affection, sur le plan physique. L'enfant ne fait pas l'objet de faveurs face aux exigences strictes des dieux. Ce que je veux souligner ici, c'est la relation inverse entre la punition, la douleur et l'affection. Les cultures qui ont tendance à infliger des sévices aux enfants ont également tendance à ne pas leur témoigner d'une grande affection sur le plan physique. Nous devons comprendre cette relation de base. Elle subsiste jusqu'au niveau de l'individu.
La diapositive suivante [Voir tableau 1] nous montre des cultures où l'enfant reçoit beaucoup d'affection sur le plan physique. On constate que le vol s'y produit rarement et que peu de sévices sont infligés aux nouveaux-nés, contrairement à la diapositive précédente. Le sevrage prend fin quand l'enfant atteint l'âge de deux ans et demi ou plus. J'en profite pour dire que c'est un aspect de mes recommandations visant à aider à rééduquer notre société. Il faut revenir à l'allaitement naturel pendant une période prolongée, à cause de la qualité de cette forme de nutrition.
Dans le dernier point, nous lisons: «Tuer, torturer ou mutiler l'ennemi est négligeable», point que je vais illustrer dans la diapositive suivante et qui constituait une échelle codée élaborée par Philip E. Slater. On y décrit des peuples continuellement en guerre et engagés dans des raids dans les tribus voisines pour en capturer un membre et le torturer, le mutiler et le tuer. C'est une forme de violence extrême, que je vais maintenant rattacher au manque d'affection physique à l'égard de l'enfant. Cette dernière variable a été codée par les anthropologues de la culture «Barry, Bacon and Child» et se rapporte à la mesure dans laquelle l'enfant a été recueilli, aidé et porté. Dans les cultures ayant une cote élevée les enfants sont portés dans les bras la plupart du temps, dans les autres, ils ne le sont presque jamais.
La diapositive suivante nous montre la répartition des cultures, leur identification dans l'étude de base qui relie l'affection physique donnée au nouveau-né à la violence physique du monde adulte. Il y a 49 cultures: celles qui se trouvent dans les deux premières colonnes, répondent aux prévisions, celles qui figurent dans les deux dernières, n'y répondent pas. Trente-six cultures sur 49 ont été correctement classées, pour ce qui est de la violence physique adulte fondée sur la variable de l'affection physique à l'égard du nouveau-né. Je vais vous montrer comment justifier les 13 cultures pour lesquelles les prévisions n'étaient pas exactes.
La diapositive suivante indique que ces cultures proviennent pratiquement de tous les coins du monde. Voici les pays dont dérivent les cultures inscrites dans la première colonne portant la rubrique «affection physique élevée au nouveau-né, violence adulte faible»: Afrique, Est de l'Eurasie, Pacifique insulaire et Amérique du Nord et du Sud.
La diapositive suivante montre la répartition géographique des cultures inscrites dans la deuxième colonne, intitulée «affection physique faible et violence physique adulte élevée». Dans cette répartition, il n'y a pas de culture de l'Est de l'Eurasie.
[Voir un tableau résumant les trois diapositives suivantes]
Les deux diapositives suivantes s'efforcent de justifier les 13 exceptions au modèle: il y a six cultures dans lesquelles l'affection physique à l'égard du nouveau-né est élevée et dans lesquelles la violence physique adulte est élevée, alors qu'elle devrait être basse. 5 de ces 6 cultures avaient adopté une attitude très répressive et punitive face à la sexualité prémaritale. D'après d'autres sources d'information, nous savons que la culture Zuni s'est également montrée répressive face à la sexualité prémaritale. D'après moi, la raison pour laquelle 5 de ces 6 cultures sont violentes, découle du manque d'affection physique et de soins, associé à une attitude répressive face à la sexualité, c'est-à-dire au refus de la sexualité. J'en suis venu à conclure que l'on peut annuler les avantages de l'affection physique donnée a l'enfant dans son jeune âge, en le privant plus tard d'une affection physique, châtiment qui se traduit par une attitude répressive face à la sexualité.
La diapositive suivante montre la dernière colonne: «affection physique faible à l'égard du nouveau-né, violence physique faible chez l'adulte» alors que ces courbes devraient être élevées. Et qu'est-ce que l'on constate ensuite? Chacune des 7 cultures avait une attitude libérale face à la sexualité prémaritale. On peut donc dire une fois de plus que le manque d'affection physique pendant l'enfance, peut être compensé plus tard par un apport d'affection et de plaisir associés à une sexualité libre.
En résumé, si l'on associe ce facteur des manifestations physiques d'affection dans les relations humaines (relations précédant et suivant la puberté et relations entre parents et enfants) aux manifestations sexuelles prémaritales, je puis dire que la violence est présente dans 48 des 49 cultures primitives répandues dans le monde. Je dois à nouveau souligner que nos études portant sur le cerveau ont démontré que lorsqu'on stimule les régions du cerveau associées au plaisir, on inhibe en même temps celles qui sont liées aux manifestations de violence. Il s'agit en fait d'un effet d'alternance: si un système fonctionne, l'autre est au repos. C'est pourquoi nous constatons que le plaisir et la violence sont si intimement liés. Chez un individu violent, ce système régulateur est perturbé; il n'a pas la possibilité d'exprimer un plaisir intense et, par conséquent, il n'a pas suffisamment de contrôle pour réprimer sa violence parce qu'il ne peut faire preuve d'affection; en d'autres termes, les neurones du plaisir sont perturbés dans leur fonctionnement.
ä la diapositive suivante, j'aimerais résumer les caractéristiques et les traits de comportement des individus appartenant à des cultures où les activités sexuelles prémaritales sont punies sévèrement. ä l'intérieur de ces cultures, on pratique l'esclavage, les assassinats sont fréquents, les vols sont nombreux; on sanctionne les liaisons extra-maritales et on constate de l'incapacité sexuelle; on y redoute beaucoup la castration, qui est le châtiment infligé aux jeunes garçons qui se masturbent; l'agressivité y est extrême, conséquence de la violence interne et externe dans la tribu; et souvent, on tue, torture et mutile l'ennemi. On se trouve de nouveau en présence d'une foule de comportements très violents et très déshumanisants, attribuables à la privation d'affection et de soins qui entraîne la répression de toute sexualité expressive.
La diapositive suivante résume certains résultats que j'ai obtenus en distribuant des questionnaires; j'ai alors tenté de faire les mêmes observations que dans les cultures «primitives». Dans le cadre de la présente étude, j'ai demandé à 75 prisonniers de sexe masculin de remplir un questionnaire. J'ai comparé ces traits de comportement aux deux affirmations suivantes: «Ma mère ne m'étreignait pas et ne m'embrassait pas beaucoup» et «Ma mère ne s'occupait pas vraiment de moi». J'ai divisé les prisonniers en deux groupes. D'une part, ceux qui considéraient que ces deux affirmations s'appliquaient dans leur cas et, d'autre part, ceux qui n'étaient pas d'accord avec ces deux énoncés. Je me suis ensuite demandé quelles relations existaient entre ces variations de l'affection maternelle et les autres questions. Nous avons découvert qu'il existait des relations très étroites; en effet, les prisonniers qui reconnaissaient avoir manqué d'affection maternelle étaient également d'accord pour affirmer que leur mère ne s'occupait pas d'eux, qu'elle ne les touchait pas suffisamment, qu'ils ressentaient des idées suicidaires, que leur mère ne s'occupait pas d'eux et que drogues et alcool leur procuraient plus de plaisir que le sexe.
La diapositive suivante illustre la suite de cette analyse; nous établissons des liens étroits entre la privation de l'affection maternelle et les attitudes suivantes: «Les plaisirs sexuels avilissent le caractère»; «la société devrait sanctionner la prostitution»; «je sens que souvent, on abuse sexuellement de moi»; «mes activités sexuelles me procurent habituellement peu de plaisir»; «j'aime les films de sexe dans lesquels on bat et on fait souffrir le partenaire sexuel»; «Ies scènes de viol dans les films me donnent envie de violer quelqu'un; j'éprouve parfois le désir de violer quelqu'un».
De nouveau, on note chez les sujets une incapacité de manifester leur affection, parce que leurs premières relations avec leurs parents étaient caractérisées par une absence d'affection. Ainsi, une fois adultes, ces personnes se servent de la sexualité pour exprimer leur violence plutôt que pour manifester leur affection et leur sympathie.
La diapositive suivante énuméré les principaux facteurs de discrimination entre des collégiens blancs et des prisonniers noirs.
La diapositive qui suit met en parallèle les taux de mortalité infantile et les taux d'homicide et de suicide dans les 50 États américains et dans le district de Columbia.
Pour établir encore plus clairement des relations entre absence d'affection et violence, j'ai comparé des statistiques sur la violence et des taux de mortalité infantile aux États-Unis. Je soutiens que les États-Unis ont un taux de mortalité infantile très élevé pour un pays industrialisé et évolué. ä mon avis, nous disposons des ressources nécessaires pour obtenir le taux de mortalité infantile le plus bas, mais il n'en est pas ainsi.
Selon mon interprétation, la société américaine ne se préoccupe pas tellement de la qualité de la vie et du milieu de ses enfants. Par conséquent, les enfants qui naissent dans un milieu caractérisé par l'appauvrissement, les mauvais traitements et la négligence contribuent à faire augmenter le taux de mortalité infantile.
J'ai dit que ce taux reflétait bien la dégradation de notre société, la négligence sociale, l'indifférence et l'absence de soins. J'ai donc établi un rapport entre cette carence de soins et les manifestations violentes, de même que les taux d'homicide et de suicide. Vous voyez maintenant une comparaison entre notre taux d'homicide et notre taux de mortalité infantile de 1940 à 1967. Chacun des éléments de cette comparaison est important au point de vue statistique. Pour les années 40 et le début des années 50, nous constatons que le taux de mortalité infantile rend compte de 15 à 25 p.100 du taux d'homicide.
Lorsque l'on étudie les chiffres correspondant à la fin des années 50 et aux années 60, on constate que le taux de mortalité infantile se reflète dans une proportion de 75 p.100 dans le taux d'homicide. Autrement dit, vous pouvez constater que l'importance de la relation augmente de façon systématique. Nous sommes d'avis que la qualité du milieu que nous offrons à nos nourrissons et à nos enfants se traduit directement par les comportements d'adultes caractérisés par la violence.
J'associe le taux de mortalité infantile à la négligence et à l'absence de soins, car si vous êtes né dans un milieu caractérisé par les mauvais traitements et la négligence et si vous sortez de ce milieu, il est peu probable que vous receviez les soins qui, selon moi, comptent pour beaucoup dans la relation entre mortalité infantile et homicides. J'aimerais bien savoir si cette tendance ou ce rapport se retrouvent dans d'autres pays comme le Canada, par exemple, car nous pourrions ainsi vérifier ces résultats.
La diapositive suivante concerne les voies de fait. L'analyse est la même, sauf que j'ai tenu compte des cas de voies de faits, d'accidents d'automobiles et de cambriolages. ä partir du milieu des années 50 jusqu'à la fin des années 60, on peut constater qu'il existe une relation étroite avec les voies de fait.
La diapositive qui suit concerne les cas de viols et de maladies vénériennes. Nous établissons certaines relations statistiques entre la violence sexuelle (le viol) et le taux de mortalité infantile. Ce taux, qui mesure l'absence de soins, se reflète à nouveau dans les manifestations sexuelles pathologiques et il est lié aux cas de viol. La plupart de ces corrélations sont appréciables, et, en particulier, les cas de gonorrhée occupent une place importante dans le graphique. Les liens très étroits qui existent entre les taux de maladies vénériennes et la violence sexuelle (viol) laissent croire qu'une grande partie de notre sexualité est basée sur l'exploitation et la violence et non pas sur l'affection. On pourrait étudier cet aspect de plus près, mais passons plutôt à une autre diapositive.
La diapositive suivante «Corrélation décalée», illustre encore une fois le rapport croissant entre nos taux de mortalité infantile et nos taux d'homicide pour la fin des années 50 et les années 60. Les lignes blanches que vous voyez représentent le taux de mortalité infantile de 1930, 1940 et 1945, par rapport au taux d'homicide. Les corrélations avec les lignes noires rapprochent le taux de mortalité de 1950, 1955, 1960 au taux d'homicide futur. Vous pouvez constater qu'il existe un rapport beaucoup plus étroit, au cours de ces années, entre les taux de mortalité infantile et le taux d'homicide que celui des années précédentes.
Pour simplifier l'interprétation, les taux de mortalité infantile dans les années 30 et 40 étaient principalement attribuables à des maladies contagieuses et des facteurs indépendants de la volonté; lorsqu'on a commencé à exercer un certain contrôle sur ces facteurs, les aspects psycho-sociaux de l'environnement ayant contribué à ce taux de mortalité infantile élevé ont commencé à se manifester. Voilà pourquoi nous constatons un rapport d'une importance croissante entre notre taux de mortalité infantile et notre taux d'homicide pour les années les plus récentes (1955-1967). Autrement dit, il y a corrélation entre la qualité de l'environnement de nos enfants et les mesures de violence subséquentes dans notre société.
La prochaine, «Augmentation des sévices chez les enfants», nous fournit les dernières données sur diapositive. Il s'agit d'une étude faite par Lask et Sigal accompagnant des statistiques sur l'enfance maltraitée dans la ville de New York, entre 1964 et 1974. Au cours de cette décennie, il s'est produit une augmentation de 1,026 p. cent des cas d'enfants maltraités. Évidemment, une grande partie de cette augmentation vient de ce que les gens hésitent moins à signaler les cas. Par contre, il est également évident que ce pourcentage reflète, dans une certaine mesure, une augmentation réelle des cas d'enfance maltraitée à New York. A mon avis, cette situation est probablement caractéristique de l'ensemble des États-Unis.
La dernière diapositive est celle de deux enfants pratiquant la boxe. Je la projette afin de démontrer qu'il y a bon nombre de façons pour notre société d'enseigner la violence. Nous y voyons des enfants auxquels on enseigne la boxe. A mon avis, la boxe est le sport le plus immoral que nous pratiquons, parce que son but principal est de blesser l'adversaire de sorte qu'il en soit incapacité; selon moi, c'est fondamentalement immoral. La boxe diffère du football et d'autres sports, dont le but premier n'est pas la violence ou les voies de fait dirigées contre le corps. J'aimerais que la boxe ne soit plus classée comme sport. Elle me fait trop penser aux gladiateurs romains qui cherchaient à frapper leur adversaire d'incapacité.
Messieurs les sénateurs, je projetterai plus tard une autre série de diapositives qui sont beaucoup plus agréables, car elles illustrent certaines mesures, ou certains correctifs à prendre, pour rendre notre société plus humaine et pacifique. Voilà en résumé les données que je voulais vous présenter; je me ferai un plaisir de répondre aux questions.
Le président: Vous en aurez beaucoup, j'en suis sûr. Une grande partie des diapositives projetées portaient sur le comportement des singes. Notre arrière-cousin semble être un individu, un animal très amical; il n'est pas très violent, il tue rarement un autre singe et il ne part jamais en guerre. A quel moment de son développement l'homme développe-t-il cette tendance à la violence? En avez-vous une idée?
M. Prescott: Oui, je crois que c'est inné chez l'être humain. Nous avons la liberté et l'autonomie de construire notre propre environnement social. Nous différons des animaux, chez qui les nouveaux-nés ne sont pas séparés de leur mère. Tenons-nous en à cela. Il y a certains besoins fondamentaux chez les mammifères. Et le premier contact du nouveau-né avec sa mère en est un. Nous, mammifères humains, nous nous sommes éloignés de cette tradition. C'est un des premiers pas vers l'aliénation et une privation des soins protecteurs qui portent à la violence. Donc, dans nos procédés de mise au monde, nous nous engageons dans une voie qui nous pousse à la violence.
J'encouragerais fortement des changements radicaux, comme celui des mouvements féministes qui ont été très utiles, destinés à humaniser le procédé de mise au monde. Le père doit être là et participer activement au procédé de mise au monde. Cette participation peut entraîner un lien affectif très fort. Malgré cela, dans notre société, la médecine s'oppose à ces conditions sociales (lien entre la mère et le nouveau-né) qui sont tout à fait essentielles à la création d'un lien affectif.
En outre, d'autres statistiques nous démontrent par exemple que les enfants prématurés ont de fortes chances d'être maltraités et négligés.
Le président: Si vous croyez qu'il y a lieu d'humaniser et d'améliorer ces conditions, pourquoi ne pas humaniser notre système d'éducation et former l'enfant très tôt, au niveau de la maternelle ou de la prématernelle, en lui enseignant certains de ces besoins fondamentaux pour réprimer la tendance à la violence dans les sports et les jeux?
M. Prescott: A mon avis, le système scolaire joue un rôle très secondaire. L'essentiel, la base, doit être donnée au foyer.
Là où il faut éduquer les gens, c'est dans l'art d'être parents. Il faut enseigner à nos jeunes, dès le niveau de la maternelle, l'importance d'être de bons parents. L'importance des liens affectifs et physiques très protecteurs. Il faut abandonner les punitions corporelles comme méthode d'inculquer la discipline, ce qui est très difficile.
Comme je l'ai signalé, la Cour Suprême des États-Unis a maintenu le droit de l'État à s'en prendre physiquement aux enfants. Conséquemment, les enfants aux Etats-Unis ne sont plus protégés en vertu des huitième et quatorzième amendements de leur Constitution. Ils ne sont pas protégés contre une punition cruelle et inhabituelle; ils n'ont pas droit aux voies de droits. L'argument de la majorité, il s'agissait, soit dit en passant, d'une majorité de quatre sur cinq, était que les voies de droit régulières accordées aux enfants élimineraient le caractère immédiat de la punition et, par conséquent, son efficacité; évidemment, si l'on veut qu'une punition soit efficace elle doit être administrée immédiatement. Donc, aucun droit aux voies de droit régulières.
Évidemment, bien des enfants sont faussement accusés et par conséquent faussement punis. Mais, aux yeux des juges, cela ne semble pas très important. Alors, comment enseigner à nos parents de ne pas frapper leurs enfants lorsque la Cour Suprême des États-Unis leur dit qu'ils le peuvent? Il faut donc éduquer non seulement les parents mais aussi les juges.
Dans le comté de Fairfax en Virginie, on a signalé la mort d'un enfant de 12 semaines survenue suite à une punition physique infligée par son père; punition qui avait été administrée parce que l'enfant pleurait continuellement et empêchait le père de regarder son programme de télévision préféré: Auto-patrouille. Le père a tenu l'enfant par les pieds tout en le fouettant. La tête de l'enfant a frappé le plancher et il en est mort. J'ai signalé ce cas dans un de mes articles; le juge a précisé qu'il s'agissait, dans le cas de l'accusé, le beau-père, d'un premier délit; le juge Barnard F. Jennings a dit que c'était un accident tragique en ajoutant qu'au fond, le père était bon et respectable, malgré le témoignage selon lequel le père battait l'enfant tous les jours et qu'il avait fini par le tuer.
Le président: Je crois que le sénateur Bird a une question à poser.
Le sénateur Bird: Dans des cas semblables, un des problèmes est que les gens qui ont eux- mêmes été maltraités croient fermement que la façon de rendre une personne bonne et pure est de la battre. Voici un autre problème: dans nos villes, et particulièrement aux États-Unis, certaines gens vivent dans des conditions de surpeuplement; il est démontré que des animaux forcés à vivre dans des conditions de surpeuplement deviennent violents.
Je crois que la plupart d'entre nous croient que la mère doit être la personne qui s'occupe de l'enfant durant la période de l'allaitement. Toutefois, en raison du nombre croissant de femmes obligées de travailler et s'éloignant du foyer pour travailler, il existe un besoin réel d'une sorte de garderie où l'enfant peut sortir d'un foyer surpeuplé, s'éloigner d'une mère irritée. Très souvent, la mère restant au foyer est pire que celle qui va travailler.
A votre avis, quels seraient les effets sur les enfants d'une garderie bien administrée, en supposant qu'elle dispose d'un nombre suffisant de personnes pour s'occuper des enfants et leur donner la protection d'un adulte attentif autre que celle que donnerait une mère irritée au foyer?
M. Prescott: Je pense que vous avez mis le doigt sur le point sensible, sénateur, soit le caractère protecteur des exploitants de garderie. Pendant les trois années où j'ai fait partie du Maryland Advisory Committee on Daycare, c'est avec les exploitants de garderies commerciales que nous nous sommes battus le plus âprement. La principale cause en était la proportion des employés par rapport aux enfants. Nous prétendions qu'il devait y avoir très peu d'enfants par adultes. Une deuxième question épineuse était l'espace à calculer par enfant. Évidemment, tout cela se traduit immédiatement en profits sur le plan pécuniaire. Comme je l'ai dit, c'est à cet égard que nous avons eu les discussions les plus serrées. Il est clair que la question en cause est la quantité d'affection et de soins qu'on donne dans les garderies. Évidemment, si on prévoit un adulte pour 8 enfants, on ne peut que les garder. Une mère seule ne parvient pas toujours à s'occuper de deux enfants à la maison. Les placer dans une garderie surpeuplée et manquant de personnel est encore pire. C'est vraiment le phénomène de la protection. C'est là où la famille étendue a toujours été utile. On le voit dans les cultures matriarcales, par exemple, où les familles sont très vastes en comparaison des cultures patriarcales.
Encore une fois, lorsqu'il y a beaucoup d'adultes pour prodiguer à un enfant les soins et la - protection dont il a besoin, celui-ci ne sera pas exagérément dépendant d'un seul et ne souffrira pas de traumatismes émotionnels en son absence. Une autre chose que nous pouvons faire, c'est de voir comment nous pouvons rétablir la famille étendue dans notre société. Je pense que nos jeunes s'orientent en ce sens en fondant des sortes de familles communales.
Le sénateur Bird: Comme l'ensemble de notre culture, et c'est certainement le cas aujourd'hui, est bâtie autour de la famille nucléaire, il est essentiel que les écoles soulignent, dans la mesure du possible, l'importance du père, dont le rôle sur le plan des soins à donner aux enfants a toujours été négligé. On pense souvent que les hommes sont incapables d'être tendres, gentils et affectueux, ce qui est absurde. Ils peuvent l'être, et le sont souvent. Comme l'a fait remarquer le président, nous pouvons apprendre aux enfants dès la maternelle qu'il n'y a rien qui soit réservé aux filles ou aux garçons, et que les petits garçons ne doivent pas être élevés de façon à ne pas être tendres et gentils.
M. Prescott: Exactement, mais encore une fois, je souligne que ce genre d'éducation doit être repris à la maison. Si un enfant ne reçoit pas suffisamment de marques d'affection physique de son père au cours des 4 ou 5 premières années de sa vie, il est déjà gravement désavantagé sur le plan de sa capacité d'établir des rapports avec les autres enfants; je pense que c'est particulièrement grave pour les filles.
En ce qui concerne cette étude sur la population carcérale, on s'est entre autres demandé pourquoi les mères n'avaient pas donné à leur fils des marques d'affection physique. C'est probablement qu'elles ne savaient pas comment faire. Elles n'ont probablement pas appris comment en donner à leur père. Comment peut-on s'attendre qu'elles donnent aux hommes des marques d'affection physique si leur père a été froid envers elles sur ce plan?
Le sénateur Bird: Cela doit conduire dans bien des cas à la frigidité.
M. Prescott: Oui, ainsi qu'à divers troubles sexuels. il y a des cas où la mère ne peut manifester physiquement d'affection à son mari et à ses fils. Et ceux-ci à leur tour ne peuvent apprendre à être affectueux envers les femmes parce qu'ils ne l'ont pas appris de leur mère. C'est un cercle vicieux, et chaque système renforce l'autre. Ce qu'il nous faut faire, c'est briser ce cercle. Les deux parents doivent se montrer affectueux envers leurs enfants sur le plan physique.
Le tabou de l'inceste contribue à empêcher un père de donner à sa fille des marques d'affection physique. C'est un autre problème important. Nous n'avons pas encore appris à dissocier l'affection physique au sens général du terme de la sexualité génitale. C'est pourquoi nous avons des problèmes aux États-Unis sur le plan de notre fonctionnement sexuel. Nous formons vraiment une société sexuellement malade, comme le montre le problème de la pornographie impliquant des enfants. Mais il y a des moyens de remédier à la situation, et j'ai à cet égard des diapositives que je vous montrerai plus tard.
Personnellement, je préconise la nudité au foyer. Je pense que c'est l'endroit tout indiqué pour apprendre à accepter son corps et à ne pas en avoir honte. Par exemple, les Japonais ont de grosses baignoires où prend place toute la famille. Ils n'ont pas honte de se dénuder. En comparaison des États-Unis, on y trouve beaucoup moins de problèmes de violence sexuelle, etc.. Il existe des moyens que nous pourrions envisager pour aider à régler une partie de ces problèmes. Mais c'est difficile.
Dans certains milieux, on me critique vivement lorsque je préconise la nudité au foyer. Il y a des parties du Canada où les gens sont extrêmement conservateurs à cet égard. Comme je vous le montrerai à l'aide de certaines diapositives, il y a en Californie des localités où les gens sont très ouverts. L'existence de camps de nudistes est devenue courante dans presque tous les pays. On ne constate aucun problème grave de troubles sexuels dans les familles qui pratiquent la nudité au foyer. Nous avons donc des leçons constructives à en tirer.
Le sénateur Bird: Vous avez parlé de la condition de la femme qui, évidemment, m'intéresse tout particulièrement. Dans les sociétés où la femme a une condition inférieure à celle de l'homme il y a plus de violence. Pourriez-vous expliquer plus en détail pourquoi vous pensez cela? Quelle corrélation faites-vous? Évidemment, il y a davantage de viols.
M. Prescott: On en revient à la question générale de savoir comment établir dans les rapports humains une égalité et une liberté véritables. Lorsque les femmes et les enfants ont une condition inférieure à celles de l'homme, ils deviennent des biens exploitables. Par exemple, dans les cultures primitives, on constate un fort désir d'avoir des enfants associé à de nombreux comportements de violence et d'exploitation. Dans bon nombre de ces cultures primitives, les enfants deviennent un symbole de la fertilité de la femme et de la puissance sexuelle de l'homme. Ils deviennent une ressource économique qui assure la protection des vieillards. Lorsque vous avez une grosse famille, vos enfants peuvent prendre soin de vous. Ceux-ci deviennent donc véritablement un bien exploitable. On ne les a pas pour eux-mêmes, pour entretenir avec eux une relation d'amour et d'affection.
Les femmes sont placées dans la même catégorie. Elles sont un bien, une ressource. C'est pourquoi, encore une fois, dans les cultures patriarcales, une femme vaut cher. Il s'agit d'un échange monétaire. Dans les cultures matriarcales, le prix à payer pour prendre femme est extrêmement bas ou inexistant. Ces cultures sont également très protectrices.
Le sénateur Lucier: Docteur, si je ne m'abuse, vous êtes absolument contre toute forme de punition corporelle des enfants.
M. Prescott: C'est exact.
Le sénateur Lucier: Avez-vous des enfants?
M. Prescott: J'ai deux filles; l'aînée, une petite rousse, a 13 ans, et la benjamine 6. J'ai infligé une seule fois une punition corporelle à l'aînée, et je le regrette. Je n'ai jamais frappé la plus petite. Nous entretenons vraiment de bons rapports. Évidemment, elles reçoivent beaucoup de marques d'affection. Dès que j'arrive à la maison, la petite me tend les bras pour que je la prenne, je la promène parfois pendant une heure.
Si vous voulez vraiment que vos enfants deviennent indépendants et autonomes, vous devez leur donner énormément d'affection physique. Ne les laissez jamais souffrir de traumatismes émotionnels et de la solitude. Nous avons vu clairement ce que cela donne. Lorsque la plus jeune avait deux ou trois ans, nous l'emmenions au supermarché et il arrivait qu'elle coure vers un autre enfant qui avait deux fois son âge et l'agrippe par la manche. Celui-ci était effrayé et se réfugiait dans les jupes de sa mère. Mais notre petite aimait partir à l'aventure dans le magasin et courir un peu partout. Elle était extrêmement indépendante et autonome. C'est comme cela que l'enfant peut développer sa confiance en soi. Il ne faut pas lui laisser connaître l'échec.
Le sénateur Lucier: C'est très bien, docteur, mais que faire avec deux jumeaux qui sont de vrais diables? Par ailleurs, si on a une fille de treize ans et une autre de six ans, on ne les élève évidemment pas en même temps! Et que peut-on faire avec trois ou quatre enfants qui se battent constamment et mettant tout à sac? Qu'est-ce qu'il faut faire quand ils ne veulent pas obéir? Faut-il abandonner la partie?
M. Prescott: Je pense qu'il faut trouver une autre façon de les discipliner. Il faut savoir ce qui leur tient extrêmement à coeur et menacer de le supprimer s'ils se conduisent mal. Il faut aussi leur dire que ce qu'ils aiment leur sera rendu si leur conduite est satisfaisante, s'ils font telle ou telle chose. Il y a toujours des solutions.
Le sénateur Lucier: Vous est-il arrivé de penser que personne ne vous suit?
M. Prescott: Non.
Le sénateur Lucier: Je suis sérieux. Je suis loin de croire que la majorité des gens partagent vos opinions.
M. Prescott: Je suis absolument d'accord là-dessus. Considérez par exemple le problème des châtiments corporels aux États-Unis. Notre combat est celui d'une minorité et c'est là que se situe le problème. Notre société est violente, parce qu'on enseigne la violence aux enfants. De quelle manière, me direz-vous? En les agressant physiquement notamment.
Le sénateur Bird: Ce n'est pas du tout nécessaire, sénateur. Mon père n'a jamais levé la main sur ses cinq enfants. Il ne nous a jamais infligé de châtiments corporels parce qu'il estimait choquant qu'une grande et forte personne en frappe une autre, petite et faible. J'ai appliqué le même principe chez moi avec mes jeunes enfants.
Le sénateur Lucier: Bien des psychiatres nous ont dit, ici, dans leur témoignage, qu'ils étaient tout à fait d'accord pour qu'on punisse les enfants.
M. Prescott: Ils sont mai informés, sénateur. Les données que j'ai montrées, indiquent clairement les conséquences du manque d'affection et les effets néfastes des punitions.
Les psychiatres ne sont pas des sociologues du comportement. Ils ont une perspective étroite selon laquelle le comportement humain découle de la tradition psychanalytique, ce qui apporte peu de fondements scientifiques en tant que système théorique.
Je vous ai présenté des données empiriques. Je pense qu'elles se passent de commentaires. Je vous renvoie aux données sur les animaux, aux données interculturelles et aux questionnaires.
Le sénateur Lucier: Votre remarque sur la boxe comme sport m'a surpris. Vous dites que, selon vous, il faudrait complètement supprimer la boxe qui diffère des autres sports parce que son objectif est de faire mal.
M. Prescott: La boxe, oui en effet. Son objectif fondamental est d'asséner des coups à quelqu'un pour lui faire perdre conscience.
Le sénateur Lucier: Ce n'est pas tout à fait vrai. C'est peut-être l'objectif fondamental des boxeurs professionnels, mais vous nous avez montré des garçons de cinq et quatre ans
portant des gants de boxe de 12 pouces qu'ils pouvaient à peine soulever. Même s'ils l'avaient voulu, ils ne pouvaient mettre quelqu'un en knock-out.
M. Prescott: Mais cela apprend à l'enfant à en agresser un autre physiquement.
Le sénateur Lucier: Avez-vous jamais joué au football?
M. Prescott: Oui, lorsque j'étais au lycée.
Le sénateur Lucier: Avez-vous joué au hockey?
M. Prescott: Non.
Le sénateur Lucier: Est-ce que vous regardez le football professionnel?
M. Prescott: Oui, et cela me plaît beaucoup.
Le sénateur Lucier: Prétendez-vous que l'objectif du football professionnel ne soit pas de faire mal?
M. Prescott: Non, je ne le pense pas du tout. C'est tout à fait différent. Évidemment, c'est un jeu brutal.
Le sénateur Lucier: Non, ce n'est pas seulement un jeu brutal. je dis que son objectif c'est de faire mal à autrui.
M. Prescott: Ce n'est pas mon point de vue. C'est un jeu d'adresse compliqué, où un groupe doit coopérer pour obtenir une touche. Le cas de la boxe est différent, puisque là, le but est essentiellement de donner des coups à son partenaire pour le mettre à mal.
Le sénateur Lucier: Docteur, au football, l'intention des joueurs n'est pas de faire tomber doucement leur partenaire au sol. Il faut non seulement les faire tomber, mais agir de façon à ce qu'ils soient terrorisés en vous voyant venir. On y réussit en donnant des coups aussi violents que possible. C'est ainsi qu'on joue au football, au hockey et à la plupart des sports où il y a contact physique.
M. Prescott: C'est peut-être vrai, mais je tiens à dire qu'au football, on fait beaucoup plus attention, qu'on utilise de l'équipement de protection matelassé, afin de diminuer et de minimiser les coups, le plus possible. En cas de violence excessive, le joueur est banni. Il y a, comme nous le savons tous, toutes sortes de règles et de règlements au football.
Le sénateur Lucier: Il y a davantage de blessures par personne au football qu'à la boxe. Il y a plus d'accidents mortels au football que dans tout autre sport.
M. Prescott: Et c'est une tragédie. Cela indique peut-être que le football devient un sport de plus en plus violent, tout comme le hockey. Mais c'est seulement un signe de la barbarie de notre civilisation.
Le sénateur Lucier: Je suis d'accord avec vous, mais je vous rappelle que vous vouliez supprimer la boxe parce qu'à l'inverse des autres sports, elle est vraiment brutale. Pour moi cette objection concerne aussi tous les autres sports. Je comprends votre objection à propos du hockey, par exemple. Selon les règles, il ne faut pas être brutal, mais si on ne fait de mal à personne, on ne reste pas très longtemps en jeu. C'est la même chose au football. Si vous regardez suffisamment de parties de football américain, vous vous rendez compte que l'objectif est de s'assurer que la prochaine fois que l'un des joueurs fait une touche il ait très peur que vous ne soyez près de lui. La seule manière d'y parvenir, c'est de lui faire le plus mal possible.
Je sais que nous en arrivons à des questions très particulières, mais j'estime pour ma part que tous les sports où il y a contact physique sont essentiellement de même nature. J'ai fait un peu de boxe, mais pas beaucoup, comme sport et pas à titre professionnel. j'ai vu arriver des jeunes gens; on les met en forme; ils portent un casque et de gros gants épais, et ils ne se font pas blesser. Je me suis fait beaucoup plus mal en jouant au football qu'en boxant.
Le sénateur Bonnell: J'ai là un petit poème. Je ne sais pas qui l'a écrit, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez. Le voici:
Si un enfant vit au milieu des critiques, il apprend à condamner.
Si un enfant vit dans une atmosphère hostile, il apprend à se battre.
Si un enfant vit dans la crainte, il apprend à être timoré.
Si un enfant vit dans un milieu qui le plaint, il apprend à s'apitoyer sur lui-même.
Si un enfant vit dans un milieu où on l'encourage, il apprend à être sûr de soi.
Si un enfant vit dans une atmosphère de jalousie, il apprend à haïr.
Si un enfant vit dans un milieu qui le flatte, il apprend à savoir apprécier.
Si un enfant vit dans un milieu qui l'approuve, il apprend à s'aimer.
Si un enfant vit dans un milieu où on l'estime, il apprend à avoir un but.
Si un enfant vit dans un milieu juste, il apprend la justice.
Si un enfant vit dans un milieu honnête, il apprend ce qu'est la vérité.
Si un enfant vit dans l'amitié, il apprend que le monde est un endroit où il fait bon vivre.
En d'autres termes, la beauté de la fleur est fonction de celle du bouton.
M. Prescott: Je suis tout à fait d'accord, c'est très beau. En fait je me souviens que nous lisions ce poème chaque soir à nos enfants quand ils avaient deux ou trois ans. Nous l'avions même suspendu au-dessus de leur lit. C'est vraiment une belle définition de ce que devrait être l'environnement d'un enfant.
Le sénateur Bonnell: Vous êtes donc d'accord là-dessus?
M. Prescott: Absolument.
Le sénateur Bonnell: Qui a écrit ce texte? Le savez-vous?
M. Prescott: Non. Il est anonyme. je n'en connais pas l'origine.
Le sénateur Bonnell: Pensez-vous que nous devrions revenir aux accouchements pratiqués à domicile plutôt qu'à l'hôpital?
M. Prescott: Je dois donner une réponse mitigée à cette question. Dans certains cas, les accouchements au foyer peuvent se faire sans aucun risque et donner de très bons résultats. Au demeurant, je me rallierais à cette pratique, qui demande également des soins et un diagnostic très minutieux lors de la grossesse. Au moindre signe de complication, il est évident que l'accouchement devrait avoir lieu dans une clinique.
Nous avons réellement besoin de cliniques conçues pour fournir à la mère des services médicaux et psychologiques dès le tout début de la grossesse. Ces cliniques devraient également permettre la présence du père et des enfants et fournir un service où la période de l'hospitalisation est écourtée. La mère peut réintégrer le foyer une fois le bébé en santé. Le bébé ne devrait pas demeurer à l'hôpital car ces établissements sont conçus pour les malades et recèlent des infections, des maladies, etc. Il faut repenser et améliorer les méthodes d'accouchement sûres. A mon avis, le foyer peut constituer un environnement sûr, mais il faut considérer attentivement cette question. Il faut prévoir des services après l'accouchement qui permettraient de traiter les complications.
Le Maryland a institué un programme très bien structuré pour les accoucheuses. J'ai parlé à certaines de ces accoucheuses, qui ont déclaré que certaines de leurs clientes n'avaient jamais consulté un médecin. Ces accoucheuses sont très qualifiées et la loi leur permet d'administrer des médicaments; elles assument pour l'accouchement un milieu naturel, chaleureux et réconfortant.
Le président: N'utilisent-elles pas les forceps?
M. Prescott: Non.
Le sénateur Bonnell: Recommandez-vous l'allaitement maternel?
M. Prescott: Oui. Je suppose que je devrais cesser de critiquer le corps médical, mais c'est un autre domaine où le corps médical a contribué à éloigner le nouveau-né de sa mère. Le médecin ne veut tout simplement pas être ennuyé par les plaintes d'une mère qui allaite son enfant, particulièrement s'il s'agit de son premier enfant. Il est plus facile de lui administrer une injection pour empêcher la sécrétion de lait que de lui fournir l'appui psychologique nécessaire afin de l'encourager à poursuivre l'allaitement naturel.
Il y a environ deux ans, en Floride, une femme a été arrêtée et accusée d'obscénité pour avoir allaité son enfant dans un autobus public. C'est inconcevable. Notre culture n'accepte pas beaucoup que les femmes donnent le sein à leur enfant en public. J'aimerais être témoin du jour où nous n'aurons pas honte de cette pratique. Cet incident nous montre à quel point nous avons honte de notre corps et que ce sentiment est bien ancré.
Permettez-moi d'aller encore plus loin, ce qui pourrait même vous offusquer. Si nous étudions cette question d'affection et de plaisir inhérent aux relations humaines, on s'apercevra qu'il n'y a pas très longtemps les femmes n'étaient pas censées connaître le plaisir sexuel. Seules les femmes de mauvaise vie pouvaient connaître l'orgasme. A mon avis la même chose vaut pour l'allaitement naturel. Les femmes ressentent souvent une grande jouissance en donnant le sein à leur enfant. En fait, certaines connaissent un orgasme ce qui ne signifie pas que l'enfant est exploité; il s'agit d'une manifestation naturelle d'affection. C'est une manifestation intense d'affection et de plaisir physique ainsi qu'un élément essentiel de la création de liens affectifs; en fait le plaisir est l'élément qui crée le lien, et les femmes devraient apprendre qu'il est normal d'éprouver de l'affection et de connaître un plaisir physique en allaitant leurs enfants. Devant cette situation, nous disons cependant: «Non. Vous savez qu'il y a un aspect sexuel, ce qui est mauvais». Par conséquent, on pousse les femmes à se sentir coupables. Comment peut-on établir des liens agréables, chaleureux et positifs, avec des valeurs et des attitudes de ce genre?
J'aimerais apporter une autre observation. Si on permettait aux femmes de témoigner plus d'affection et de connaître plus de plaisir en donnant le sein à leurs enfants, plus de femmes adopteraient l'allaitement naturel.
Le sénateur Bonnell: Pourquoi un enfant de six ans deviendra-t-il un criminel à 26 ans?
M. Prescott: Encore une fois, je ne pense pas que la question soit l'enfant à six ans. Les causes remontent jusqu'aux premiers stades de l'enfance. C'est le résultat d'un processus engendré par un manque d'affection.
Le sénateur Bonnell: Pensez-vous que le manque d'affection entraîne un comportement criminel?
M. Prescott: A mon avis, c'est le facteur le plus important.
Le sénateur Bonnell: Pensez-vous que la mère devrait rester au foyer avec son bébé pendant un, deux, trois ou quatre ans, et qu'elle devrait en prendre soin, plutôt que de l'envoyer dans un centre d'infirmières et éventuellement dans une demi-douzaine de foyers différents? La mère devrait-elle rester au foyer, du moins, jusqu'à ce que l'enfant ait un certain âge?
M. Prescott: Je me rends compte que c'est une question qui a une connotation politique, mais j'essaierai d'y répondre. A mon avis il s'agit d'une accusation portée plus à l'endroit de notre système socio-économique qu'à l'endroit des rapports entre parents et enfants.
Dans notre société actuelle, il faut deux revenus pour assurer la subsistance de la famille. Auparavant un seul revenu était nécessaire. Il n'est pas facile de choisir. Les femmes qui travaillent sont habituellement des mères qui n'ont pas le choix ou qui n'ont aucune autre solution. Vous avez là en fait le contexte dans lequel j'inscris mes réponses à ce genre de questions. Il est évident qu'il serait agréable que la mère reste au foyer avec son enfant au cours des deux ou trois premières années; je me rallie d'ailleurs à cette pratique comme étant un système de valeurs essentiel. A mon avis, l'idéal serait que la femme ait l'occasion de rester au foyer, de protéger son enfant et de ne pas connaître tous ces problèmes économiques et inter personnels. Comment pouvez-vous élever l'enfant lorsque vous êtes soumis au stress?
C'est la société dans son ensemble qu'il faut remettre en question. Notre société est réellement structurée, sur le plan économique notamment, de telle façon à rendre très difficile le rôle de mère et de père. Entre deux maux, il faut choisir le moindre et il y a très peu de solutions de rechange.
Le sénateur Bonnell: Pensez-vous que la mère retourne au travail, pas nécessairement parce que c'est obligatoire, parce qu'elle exige trop de la vie: elle désire un téléviseur couleur, deux voitures et toutes sortes d'autres produits? Si elle désirait réellement prendre soin de son enfant, elle pourrait se limiter à ce rôle comme sa grand-mère l'avait fait avant elle, mais aujourd'hui le monde espère tant de la vie que le mari et la femme doivent travailler afin d'obtenir tout ce qu'ils désirent.
M. Prescott: Je ne suis pas d'accord avec vous. Je suis d'accord avec certaines de vos observations mais il ne s'agit pas du consommateur mais plutôt des grandes industries, qui vendent un mode de vie aux consommateurs. En d'autres mots, on vous dit qu'il vous faut des autos, un téléviseur couleur, qu'il faut avoir tel ou tel produit. A mon avis c'est eux qui sont les principaux responsables. Il y a des émissions télévisées dont les réclames publicitaires vantent les mérites des céréales et de tous les aliments non-nutritifs.
Pourquoi? Pourquoi vend-on la cigarette? Nous sommes inondés de toutes ces réclames publicitaires importantes qui nous disent: «Fumez et vous serez heureux». On nous montre toutes ces belles scènes où un homme viril et une femme sexy se retrouvent dans un environnement écologique agréable; on nous montre une mise en scène qui nous encourage à fumer alors que c'est dangereux pour la santé.
Permettez-moi d'apporter un commentaire: aux États-Unis, le ministère de la Santé se préoccupe beaucoup du problème du tabagisme et a affecté d'importants montants afin de comprendre pourquoi les gens fument. Si vous désirez réellement prévenir le tabagisme comme l'alcoolisme, j'ai quelques autres solutions à vous offrir. Nous pourrions cesser de subventionner les cultivateurs qui font la récolte du tabac et accorder cette aide à la culture d'autres produits. Il faut protéger les revenus des cultivateurs. Nous devrions abolir toute publicité concernant le tabac, mais nous ne le faisons pas.
Nous devrions imposer des taxes très élevées sur les cigarettes, en nous basant sur leur teneur en substances cancérigènes, de façon à ce que les cigarettes qui causent le plus de tort à la santé soient ainsi éliminées du marché. On devrait faire de même en ce qui concerne l'alcool. J'aimerais voir le Canada, ou tout autre pays ou État, s'attaquer à ce problème. En fait, j'ai eu des entretiens à ce sujet avec des législateurs de la Californie. Par vole d'imposition nous pourrions réduire de plus de 50 p. cent la consommation d'alcool. Par exemple, si l'on imposait des taxes excessives sur les boissons à haute teneur en alcool, ainsi, une bouteille de gin, actuellement à 80 p. cent de preuve, se vendrait $20 au lieu de $5. Quel en serait le résultat? On obligerait les distilleries à mettre sur le marché des boissons à 20 p. cent de preuve, comme le vin.
Le sénateur Lucier: On en consommerait alors quatre fois plus.
M. Prescott: Il est intéressant de noter que la majorité. des gens ne le feraient pas, parce que le volume de consommation ne varie pas beaucoup. Une fois dans l'ambiance, avec un verre à la main, l'arôme qui s'en dégage et la compagnie de gens agréables, une consommation à 20 p. cent de preuve est suffisante pour produire l'effet recherché.
Le sénateur Cottreau: Pour certaines personnes.
M. Prescott: Il y a toujours des personnes qui veulent s'enivrer à tout prix, et qui le feront de toute façon.
Le sénateur Bonnell: On revient au problème de la contrebande.
M. Prescott: En appliquant ce système, on pourrait acheter une bouteille de boisson à 20 p. cent de preuve pour $5. Les gens ne paieront pas $20 pour une bouteille de boisson à 80 p. cent ou 100 p. cent de preuve. De cette façon, on peut réellement réduire de 50 p. cent la consommation actuelle d'alcool, sans nuire aux profits réalisés par les distilleries, ce qui est très important.
Le sénateur Bonnell: Cela contribuerait à réduire le chômage, avec toute cette contrebande.
Le sénateur Inman: Vous avez dit quelque chose qui m'a plutôt surpris. Vous avez dit qu'une mère ne pouvait pas parvenir à élever deux enfants. Eh bien, j'ai assez bien réussi à élever une famille de quatre enfants. Pensez-vous vraiment qu'une femme ne puisse pas arriver à en élever deux?
M. Prescott: Je dirais qu'il est très difficile d'élever même deux enfants dans la situation culturelle qui prévaut actuellement dans la famille.
Le sénateur Inman: J'ai des petits enfants qu'on a élevés sans qu'il y ait de problème.
M. Prescott: Je parle d'une façon générale. Il y a évidemment des exceptions. Je crois que la famille moyenne aux États-Unis est d'environ deux enfants. Je ne dirais pas que la famille américaine est bien équilibrée. Les statistiques démontrent que le nombre d'enfants à qui on inflige des mauvais traitements, ou le nombre de jeunes qui quittent le foyer est si élevé dans notre société, que le Congrès a dû adopter une loi spéciale, intitulé le «Runaway Youth Act». Il y a aussi tous ces programmes spéciaux qui ont été créés pour traiter des problèmes particuliers à la famille américaine qui est en train de se désintégrer, et qui possède en moyenne deux ou trois enfants.
Et j'ai l'impression que nous ne réussissons pas très bien. Il y a cinquante ans, les choses allaient beaucoup mieux, sous certains aspects, mais nous vivons dans une différente époque.
Le sénateur Inman: Je ne suis pas au courant en ce qui concerne vos familles américaines, mais je connais de nombreuses familles canadiennes qui semblent très bien s'en tirer à ce point de vue.
Le président: J'aimerais à mon tour poser quelques questions maintenant. Vous avez parlé d'une bonne façon d'élever les enfants dans certaines sociétés tribales et dans certaines cultures; il y en a de bonnes et il y en a aussi de mauvaises. Avez-vous une idée comment se fait l'éducation des enfants dans ces cultures où prédomine la violence, et dans ces sociétés tribales qui pratiquent la guerre et le cannibalisme, par rapport aux sociétés où il n'y a ni guerre ni cannibalisme?
M. Prescott: Vous demandez comment on peut élever des enfants dans ces cultures?
Le président: Non. Comment les comparer? Comment comparer une culture où le enfants sont bien élevés et où il n'y a pas de guerre, avec une culture où il y a de nombreuses guerres et du cannibalisme? Comment peut-on les comparer?
M. Prescott: J'ai essayé de souligner le fait que dans les cultures où il est existe beaucoup de liens affectifs entre parents et enfants sur le plan physique de même que dans les relations sexuelles, on ne trouve pas de sociétés où la violence et l'exploitation prédominent.
Le président: C'est ce que je voulais dire. C'était des sociétés primitives qui n'exploitaient pas l'être humain?
M. Prescott: C'est juste. Il n'y avait pas d'esclavage, la polygamie était moins pratiquée; il y avait moins d'exploitation des femmes, elles avaient un statut plus élevé. En d'autres termes, c'était des sociétés où l'égalité et la démocratie régnaient vraiment sur le plan des relations humaines.
Le président: J'aimerais revenir à la question du football et de la boxe. A l'époque où le hockey consistait à passer la rondelle, l'intérêt était beaucoup moindre que maintenant, où il y a de la violence et où on pousse l'autre joueur contre la rampe pour le plaisir de la chose. A cette époque, les joueurs de hockey gagnaient très peu d'argent. Mais aujourd'hui, un joueur peut pousser un autre joueur contre la clôture, en tirer une certaine satisfaction, tout en obtenant un très gros salaire. N'est-ce pas un fait que notre société accorde des primes pour la violence?
M. Prescott: Absolument. Je crois qu'il n'y a aucun doute à ce sujet.
Le président: C'est juste.
Le sénateur Lucier: Cela se produit même dans le basket-ball, qui, de tous les sports, en est un qui est non violent.
Le président: Et tout cela pour le plaisir de la violence.
Le sénateur Lucier: Exactement.
Le sénateur McElman: On ne le fait pas simplement pour la violence, si vous me permettez d'intervenir, Monsieur le président. On le fait pour la publicité, pour attirer des spectateurs.
Le président: On le fait pour commercialiser la violence.
Le sénateur McElman: En commercialisant les sports, l'Europe de l'Ouest ne s'est pas aussi complètement abaissée que l'Amérique du Nord en essayant d'accroître le nombre de spectateurs pour la télévision. C'est la télévision qui en est responsable plutôt que les arènes où se pratique le sport. On se sert des sports pour enseigner aux jeunes, à partir du moment où ils commencent à l'observer à la télévision, que la violence est un fait accepté par notre société.
Quand vous parlez du hockey comme un jeu où l'on se passe la rondelle, vos souvenirs sont plus anciens que les miens. Quand j'ai commencé à jouer au hockey, ce n'était pas cela, c'était un jeu rude.
Nous n'avons pas à remonter très loin en arrière, à l'époque où la cellule familiale existait en Amérique du nord. Il existe encore des religions dans notre société qui respectent la cellule familiale et qui la maintiennent. Dans ces religions, on respecte les chefs de famille et on aime les enfants. Ces familles produisent des enfants bien équilibrés.
Après avoir dit ces choses, puis-je vous adresser une question, M. Prescott. Vous avez parlé des causes des troubles chez les enfants, dont beaucoup finissent par faire partie de l'élément criminel violent, et vous nous avez parlé de certaines façons susceptibles de les corriger, mais vous n'avez pas encore fait de suggestions sur la façon de changer complètement une société. Comment pouvons-nous faire pénétrer cette idée dans la population? Est-ce par le système d'éducation? Par le renouvellement de la cellule familiale? Par l'intervention de l'État dans la famille, ou par l'intermédiaire de cette boîte qu'est l'appareil de télévision? Nous commençons tous à comprendre ce qui est arrivé et pourquoi cela est arrivé, mais comment pouvons-nous révolutionner la société?
M. Prescott: C'est, évidemment, une question à laquelle il est très difficile de répondre.
Le sénateur McElman: Oui, en effet.
M. Prescott: Il existe différentes façons de révolutionner la société. Ce n'est pas facile à faire. Chose certaine, il faut enseigner les éléments de base du rôle de parents, revaloriser l'affection humaine, enseigner les joies des relations humaines et faire connaître les effets nocifs des punitions et des sévices dans ces relations.
Il nous faut prendre davantage conscience du sens véritable du geste de mettre un enfant au monde. La conception d'un enfant ne devrait pas être considérée uniquement comme une conséquence fatale d'une relation sexuelle. Elle devrait être volontairement et sciemment planifiée et acceptée de façon responsable. Nous devons enseigner à nos jeunes que lorsqu'ils mettent un enfant au monde, ils s'engagent à en prendre soin pendant 20 ans. Cette réalité ne fait pas partie de nos préoccupations actuelles.
Je pense que l'aspect le plus important de mon exposé est que nous ne devrions avoir que des enfants désirés. Le contraire est source de nombreux problèmes. Si notre société est peuplée d'enfants non souhaités, nous pouvons nous attendre à avoir tous ces problèmes.
En matière d'éducation, il nous faut de toute évidence nous adjoindre des personnes capables de dispenser des cours sur le rôle des parents. Cette formation doit débuter dés la maternelle.
Le sénateur Lucier: Y a-t-il suffisamment d'enseignants qui croient à cette théorie?
M. Prescott: Ça c'est un autre problème. C'est presque un cercle vicieux. Comme ce sont les adultes qui doivent enseigner aux enfants, ils sont quasi réfractaires à l'idée qu'on leur inculque de nouvelles façons d'agir, d'où le problème de savoir qui doit se charger de cet enseignement. En réalité, la télévision peut être un outil efficace, mais nous n'avons pas su l'utiliser de façon très créative jusqu'à maintenant.
Le sénateur McElman: En effet nous ne l'avons sûrement pas fait.
Le président: Vous avez demandé ce que nous pourrions faire à ce sujet, comment nous pourrions révolutionner la société. A mon avis, notre comité peut innover dans ce domaine. C'est là son objectif.
Le sénateur McElman: Bien sûr. Nous invitons justement des témoins à nous aider, à nous faire part de leurs connaissances professionnelles, de leur expérience et de leurs recherches. Voilà pourquoi nous assignons des témoins, sauf votre respect, Monsieur le président. Ils devraient pouvoir nous dire par où commencer.
A coup sûr, ce n'est pas grâce à un seul élément, quoi qu'il soit, qu'on révolutionnera la société. Notre témoin a effectué beaucoup de recherches et possède une vaste expérience dans ce domaine. Voilà pourquoi je lui ai demandé de quelle façon la société nord-américaine pourrait se réorienter dans la bonne voie.
M. Prescott: Permettez-moi de revenir au commencement. Nous devons nous doter d'un programme de cours sur le rôle des parents. La maternité doit être consentie plutôt que subie. Nous devons nous doter d'un programme d'aide plus dynamique à l'intention des futures mères susceptible de leur fournir un soutien médical aussi bien que psycho-social, afin que celles-ci aient une alimentation appropriée et ainsi de suite. Nous devons également nous doter de services permanents d'accouchement et de soins post-nataux. Nous devons régler la question importante de l'allaitement naturel, encourager les futures mères à nourrir leur enfant et faire accepter l'allaitement maternel par la société.
En outre, et j'insiste, nous devrions attacher beaucoup d'attention à l'homme. A mon avis, celui- ci doit réapprendre à devenir un père attentif et affectueux. Le père devrait s'intéresser activement à la grossesse de son épouse, par exemple en participant au programme «La Leche». Je suis également convaincu qu'il aurait avantage à assister à la naissance de son enfant. Il n'a rien à gagner à s'en abstenir. Au contraire, sa présence l'aiderait considérablement à développer les liens affectifs qu'il devra avoir avec son enfant et son épouse. Celle-ci pourrait également bénéficier de son aide pendant l'accouchement.
Voilà les étapes initiales que sous-tendent mes recommandations. Cette révolution suppose évidemment une modification profonde du système hospitalier. Le Canada a-t-il recourt aux sages-femmes?
Le président: Non.
M. Prescott: S'il envisageait de le faire, ce serait extrêmement utile, car la puériculture et l'accouchement sont des domaines que les femmes comprennent vraiment. Vous pourriez donc d'abord mettre sur pied un tel programme, mais les professionnels de la santé vous en tiendraient grief.
Le sénateur Moigat: Au lieu de dire sages-femmes, il faudrait dire sages-personnes.
M. Prescott: Bien dit!
Le président: J'aimerais poser une question avant que nous ne suspendions nos travaux. Vous avez dit que le psychopathe est un individu dépourvu de toute conscience. Peut-être vaudrait-il mieux dire que sa conscience n'est pas très développée. Il a de la difficulté à distinguer le bien du mal. Pourriez-vous me dire quels facteurs contribuent initialement à la naissance et à l'épanouissement de la conscience? Nul ne naît avec une conscience entièrement développée. L'individu apprend à la développer par l'intermédiaire, à mon avis, des relations enseignantélève.
Un sourd de naissance ne peut parler parce qu'il ne peut entendre. Ses cordes vocales sont en bon état, mais n'ayant jamais entendu de voix humaine, il ne peut l'imiter. L'individu qui n'a jamais eu la chance de développer sa conscience, c'est-à-dire de déterminer ce qui est bien et ce qui est mal, en est totalement dépourvu. Je m'exprime probablement très mal, mais je suis sûr que vous avez une bonne idée de ce que je veux dire.
M. Prescott: Les individus grandissent en développant différents types de conscience. D'après moi ce sont les liens émotifs inhérents aux relations humaines qui ont le plus d'importance comme source première des valeurs morales, contrairement à d'autres écoles traditionnelles qui accordent une plus grande importance à la rationalité, aux notions de justice et ainsi de suite. A mon avis, ces notions sont la conséquence des liens affectifs. Si nous formons des individus vraiment compatissants, attentifs et empathiques à l'égard de la souffrance de leurs semblables, nous avons là le fondement de la conscience morale qui, à son tour, est à l'origine du comportement responsable. Le comportement rationnel ne vient que beaucoup plus tard.
Comment peut-on espérer qu'un enfant acquière les respect d'autrui et l'affection pour ses semblables s'il n'en a jamais reçu? Permettez-moi de vous donner un exemple. Il y a environ un an, on a arrêté un ravisseur à Washington (D.C.). Cette personne avait violé 30 femmes différentes, dont quelques unes avaient été traitées avec une grande brutalité. Il s'est dit bien des choses au sujet de cet homme et, partant, beaucoup de gens ont réclamé son exécution. Après tout ce qui avait été dit, on apprenait finalement que pendant son enfance, ce criminel avait été victime des brutalités d'un homme avec qui sa mère vivait en concubinage; celui-ci lui avait, entre autres, versé de l'essence à briquet sur les pieds et y avait mis le feu; il lui avait en outre fait subir toutes sortes d'autres atrocités. Comme sa mère n'était jamais intervenue pour faire cesser cette brutalité, ce jeune homme avait grandi en détestant les femmes. Évidemment, dans de telles circonstances, on ne peut s'attendre à autre chose qu'à une très grande hostilité de sa part non seulement à l'égard de sa mère, mais de toutes les mères et de toutes les femmes qui lui rappelaient que sa mère n'avait pas réussi à le protéger de ce bourreau.
Je n'ai pas l'intention de faire le procès de cette femme. De toute évidence, elle n'était pas en mesure de protéger son enfant. Si elle était intervenue, peut-être aurait-elle été abandonnée par son ami qui était probablement son seul soutien. S'il n'a pas reçu de soins maternels, d'affection et d'attentions, comment un individu peut-il donner ce qu'il ne possède pas? C'est impossible.
Le sénateur Lucier: Seriez-vous porté à croire qu'un incident comme celui que vous avez décrit puisse modifier complètement une personnalité? Je pense, par exemple, à une famille où chacun des cinq enfants possède une personnalité tout à fait différente. Peut-il arriver qu'un simple incident occasionnel, comme celui dont vous avez parlé, modifie complètement une personnalité, ou cet incident constitue-t-il un facteur déterminant dans le développement d'une personnalité donnée?
M. Prescott: Je serais davantage porté à croire qu'il a un effet déterminant. Un événement donné doit être envisagé dans le contexte de l'ensemble des antécédent d'un enfant. Comme j'ai tenté de le démontrer dans les études transculturelles que j'ai menées, un individu qui a été victime de privations, de la négligence, de sévices dès son jeune âge, peut être réadapté si, en temps opportun, il a la chance d'être placé dans une situation où il fait l'objet d'attentions, d'affection et de soins. L'humain a en effet la capacité exceptionnelle de surmonter toutes sortes de difficultés. Dans ce sens, je suis optimiste, même s'il est évident qu'un individu qui a connu une grande part de privations dans son enfance ne pourra jamais devenir celui qu'il aurait été s'il avait bénéficié d'attention et d'affection dans son jeune âge.
Le président: Au nom du comité, j'aimerais vous remercier, Monsieur Prescott, de votre intéressant exposé.
Honorables sénateurs, voilà qui termine nos auditions publiques. Nous devons maintenant préparer notre rapport. Vu la possibilité de dissolution du Parlement avant que nous ne puissions nous réunir à nouveau, on m'affirme qu'il devrait y avoir une motion pour permettre au comité de poursuivre ses travaux et de préparer son rapport.
Le sénateur McElman: Je ne crois pas que cette motion serait recevable, monsieur le président. Quand le Parlement est dissout, tous les comités le sont également. Toutefois, rien n'empêche les intéressés à continuer de recueillir les renseignements nécessaires à la préparation d'un rapport.
Si j'ai bien compris, la Bibliothèque du Parlement nous a prêté des employés qui demeureront à notre disposition. Comme vous demeurez à Ottawa, la préparation de notre rapport pourra se poursuivre. Ceux d'entre nous qui seront disponibles pourront faire des suggestions, mais cela se ferait de façon officieuse. Lorsque nous nous retrouverons au début de la prochaine session, nous devrons reformer le comité afin de réunir les documents que nous avons en main et préparer le rapport final.
Le président: Nous laisserons donc les choses où elles en sont.
Le comité suspend ses travaux.