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Extraits de la conférence

La naissance et la vie foetale

Dr. Michel Odent
18 novembre 1997 à Pau

Depuis une quinzaine d'années, des méthodes statistiques permettent d'évaluer scientifiquement les pratiques obstétricales. Cette approche permet d'évaluer le rapport entre bénéfice et risque, et s'appelle l'étude prospective randomisée contrôlée.

Cette technique a été appliquée en ce qui concerne la pose du monitoring sur une femme en train d'accoucher. Le résultat constaté dans tous les pays du monde est que le seul effet constant et significatif sur les statistiques est l'augmentation des taux de césariennes. Etude publiée le 12 décembre 1987 dans The Lancet.

Un autre exemple : les échographies, étude sur plus de 5000 femmes publiée le 16 septembre 1993 dans le New Irland Journal. Le résultat dit qu'il n'y a pas de différence entre deux méthodes, les échographies systématiques et les échographies à la demande, si ce n'est que ces dernières sont moins nombreuses. Dans la mesure où on ne sait pas encore tout sur les effets des ultrasons sur le foetus, il est bon de le prendre en considération.

En ce qui concerne l'accouchement à domicile, il a été publié dans le British Medical Journal du 23 novembre 1996 quatre statistiques et un éditorial stipulant que le rapport bénéfice sur risque est souvent positif et que c'est peut-être une façon d'accoucher plus facile.

Ainsi, ces propos permettent de souligner l'extraordinaire hiatus existant aujourd'hui entre les données scientifiques et ce qui se pratique.

De plus, aujourd'hui, les ordinateurs nous permettent d'établir des corrélations entre ce qui se passe à différentes périodes de la vie, et donc de connaître les conséquences à long terme de ce qui se passe dans la période qui entoure l'accouchement.

La toxicomanie, le suicide des adolescents, la délinquance juvénile et l'autisme ont quelque chose en commun : une espèce d'altération de la capacité d'aimer. Aimer soi-même et aussi aimer les autres. Ainsi Konrad Lorenz, éthologiste et biologiste, et Nikolaas Tinbergen, éthologiste, prix Nobel de physiologie et de médecine en 1973, ont étudié en particulier le processus d'attachement. Ils ont introduit la notion de période critique, de période sensible immédiatement après l'accouchement, dans la période qui entoure l'accouchement. Cette période se caractérise par différentes hormones impliquées dans l'accouchement, l'accouplement et dans la lactation. Ces hormones sont sécrétés par la partie la plus primitive du cerveau : l'hypothalamus. Il y a un moyen de perturber l'équilibre hormonal d'animaux femelles en train d'accoucher, c'est de leur faire une péridurale. Une étude faite sur des brebis accouchant sous péridurale montre que celles-ci ne s'occupent pas de leur bébé.

Une autre façon de perturber l'équilibre hormonal c'est de stimuler le néocortex, le cerveau de l'intellect. Ainsi les hormones venant de l'hypothalamus et de la glande hypophyse vont être inhibées. La réduction de l'activité du néocortex est l'aspect le plus important de la physiologie de l'accouchement surtout chez les êtres humains. La seule chose à comprendre de ce qui se passe pendant l'accouchement, c'est que l'intellect se met au repos, la femme part sur une autre planète, et elle ne sait pas trop ce qui se passe autour d'elle. Quand on a compris cela, on comprend aisément que tout ce qui peut stimuler le néocortex d'une femme en train d'accoucher risque d'inhiber le processus d'accouchement.

Il suffit de faire une liste de tous les facteurs qui peuvent stimuler le néocortex :

Ainsi nous voyons les raisons d'essayer d'approfondir notre compréhension des processus physiologiques dans la période qui entoure la naissance, dans le but de gêner le moins possible la mère et son bébé.

Lorsque l'on compare les statistiques de différents pays, le principal rapport qui influence les statistiques c'est celui entre le nombre de sages-femmes et le nombre de gynécologues accoucheurs. Plus le nombre de sages-femmes est élevé, meilleures sont les statistiques.

C'est un peu artificiel de ne parler que de l'accouchement en lui-même, car pour les physiologistes ce n'est pas fini quand le bébé est né. Après l'accouchement il y a un nouveau pic de sécrétions d'ocytocine. Cette hormone est nécessaire pour contracter l'utérus pour la naissance du bébé, mais aussi après pour la délivrance du placenta. La femme en sécrète beaucoup si elle n'est pas distraite, si elle oublie ce qu'il se passe autour, si elle n'a rien d'autre à faire que de regarder les yeux de son bébé, de sentir la peau de son bébé dans une pièce surchauffée qui permet de baisser le taux d'adrénaline. Maintenant on sait que l'ocytocine a beaucoup d'effets comportementaux. Elle induit des comportements maternels. Elle est impliquée dans tous les épisodes de la vie sexuelle. L'ocytocine est une espèce d'hormone de l'amour. Qu'on parle de lactation, d'accouplement, même de partager un repas avec d'autres, dans tout ce qui établit des liens on sécrète de l'ocytocine. Dans de bonnes conditions, donc, si personne ne lui parle, si on ne vient pas couper le cordon, la femme n'est pas distraite et produit beaucoup d'ocytocine, ce qui est bon pour se sécuriser, ce qui fait que le placenta se détache facilement. Juste après la naissance elle n'a pas encore éliminé l'adrénaline, ce qui lui permet de protéger son bébé. Le bébé sécrète lui aussi de l'adrénaline qui permet la maturation des poumons [...] et de naître avec de grands yeux, de grandes pupilles. C'est un signal donné à la mère.

Juste après l'accouchement la plupart des femmes veulent voir d'abord les yeux de leur bébé. Elles essaient d'établir un croisement des regards. Il semble que le croisement des regards soit un moment important au début de la relation mère-bébé dans l'espèce humaine.

Toutes les hormones sécrétées par la mère et le bébé durant l'accouchement ne sont pas éliminées tout de suite après l'accouchement, et ont un rôle spécifique à jouer dans l'interaction entre mère et bébé. La mère et le bébé n'ont pas encore éliminé leurs endorphines. Ils sont l'un contre l'autre, leur cerveau imprégné de morphine. La propriété bien connue de la morphine c'est de créer des dépendances, des habitudes. Eh bien, mère et bébé l'un contre l'autre, c'est le début d'une dépendance, d'une habitude, c'est le début d'un attachement. Les endorphines, c'est l'hormone de l'attachement. La prolactine, c'est l'hormone du maternage.

Une remarque : ces hormones ne sont pas impliquées uniquement dans l'accouchement mais dans tout épisode de la vie sexuelle, dont l'accouchement est un exemple. On pourrait dire : la sexualité est un tout. Dans une société où l'on perturbe par routine un épisode de la vie sexuelle, par exemple la période qui entoure la naissance, il est vraisemblable que l'on influence l'ensemble de la vie sexuelle.

La plupart des sociétés humaines ont toujours trouvé des excuses pour rendre ces scènes impossibles, ces croisements des regards impossibles. Que ce soit par des rituels, des croyances (par exemple que le colostrum n'est pas bon), constamment on trouve des excuses pour distraire la mère. Une façon moderne, subtile de distraire la mère : le père du bébé qui se comporte comme pour dire : "Et moi ? et moi ?" Comportement qui comporte un certain danger car c'est le contact avec le bébé, le croisement des regards qui aident la mère à détacher le placenta.

Pourquoi distrait-on la mère ? Si on a fait cela partout, quel en est l'avantage ? Pourquoi presque toutes les sociétés ont-elles dit que le colostrum n'est pas bon ? Par exemple, pratiquement partout sur le continent africain, le bébé doit être dans les bras de quelqu'un d'autre pour avoir de l'eau et du sucre ou du beurre ou rien. Il n'est pas dans les bras de sa mère. Pratiquement partout sur le continent asiatique, Japon, Afghanistan, en médecine ayurvédique, chez les Aborigènes d'Australie où il y avait des rituels où l'on enfumait le bébé, les Indiens des Etats-Unis, la France, par exemple en Bretagne on disait que la mère ne devait pas donner le sein à son bébé avant le baptême qui était deux ou trois jours après la naissance sinon le diable pénétrerait le corps du bébé en même temps que le lait; ou des rituels comme le baptême immédiat dans l'eau froide, l'emmaillotage serré immédiat, percer les oreilles des petites filles...

Si l'on a fait ça partout c'est qu'il y avait des avantages sur la survie du groupe humain. Il y avait des cultures exceptionnelles, très très rares, en Afrique ou en Amazonie, où l'on ne perturbait pas du tout la physiologie de l'accouchement. Les femmes pouvaient accoucher sans intervention de la société en quelque sorte. Ces rares sociétés, qui ont disparu maintenant, avaient quelque chose en commun. Il y avait une stratégie pour survivre qui était l'opposée de la stratégie habituelle: pour survivre, il fallait vivre en harmonie avec l'écosystème; il y avait un avantage à développer le respect pour la terre-mère. Alors que dans toutes les autres sociétés, y compris la nôtre, la stratégie pour survivre a été exactement l'opposé. Les civilisations éliminaient d'autres civilisations, les groupes humains cherchaient à éliminer d'autres groupes humains, et la base de la stratégie pour survivre a été de dominer la nature, de dominer les espèces animales, de dominer le monde végétal. Cela a été un avantage de développer la capacité de détruire la vie, de modérer, de réduire, de contrôler le respect pour la terre- mère. Dans toutes les sociétés où l'on domine la nature on perturbe la relation à la mère. C'est comme si la relation à la mère et la relation à la terre-mère étaient deux aspects du même phénomène.

Ce sont des questions d'une grande importance aujourd'hui. Ce qui caractérise la fin du XXe siècle c'est qu'on va découvrir qu'on n'avait qu'une seule planète et qu'il y a des limites à notre attitude. On est en train de s'apercevoir qu'on ne pourra pas indéfiniment à continuer à la détruire. On est en train de s'apercevoir que peut-être un jour on devra se poser des questions telles que: "Comment développer le respect pour la terre-mère ?" Ça nous obligera à nous tourner vers ce qu'il se passe dans la période qui entoure la naissance. On peut remarquer que plus une société a besoin de développer le potentiel d'agressivité et plus les rituels sont agressifs dans la période qui entoure la naissance. Par exemple, Sparte en Grèce : les guerriers. Quand un garçon naissait, qu'est-ce qu'on faisait ? On commençait par le jeter par terre, et s'il survivait il devenait un bon guerrier.

On pourrait dire que les êtres humains génétiquement ont un potentiel d'amour et un potentiel d'agressivité. Selon ce qui se passe en particulier, sans doute, dans la période périnatale, on peut aller plus dans un sens ou dans l'autre. Jusqu'à présent, cela a été un avantage surtout de développer le potentiel d'agressivité. C'est ce qui explique que certains groupes humains ont survécu jusqu'au XXe siècle et que les autres, qui n'avaient pas su développer leur agressivité, ont disparu depuis longtemps et qu'on ne peut plus les étudier.

Quand on sait ce qu'il se passe lorsqu'on ne gêne pas, le moins possible, (... ce qu'on peut retrouver chez les occidentaux dans leur petite maison) on est obligé de se demander "Pourquoi dans toutes les sociétés a-t-on rendu cela impossible ?". J'apporte des éléments de réponses. Oubliez les réponses... mais rappelez-vous la question...


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