L'imprégnation hormonale durant le développement (1)

Gérard Nissim Amzallag

In G.N. Amzallag, L'Homme végétal - Pour une autonomie du vivant. Paris : Albin Michel, 2003, p.168-169

Du point de vue de l'organisme-machine, le couple clé-serrure existe avant la première rencontre entre la cellule cible et l'hormone. C'est même la présence de ces récepteurs avant toute rencontre (dont la production serait réglée par le génome durant le processus de spécialisation de la cellule) qui est censée déterminer si la cellule en question sera ou non une cible pour l'hormone. Une telle représentation correspond à l'idée d'un développement en tant qu'exécution fidèle d'un plan de construction déterminé à l'avance.

L'affinité du couple clé-serrure est une donnée considérée comme entièrement déterminée par les gènes, censée avoir été sélectionnée par les millions d'années d'affinement du processus. Cependant, l'étude de certaines déficiences hormonales montre une image incompatible avec cette représentation.

On recense deux sortes de problèmes hormonaux : soit l'organe source ne produit pas (ou pas assez) de l'hormone en question (problèmes de « clé »), soit l'organe cible ne perçoit pas correctement l'hormone produite en quantités normales par l'organe source (problèmes de « serrure »). La première catégorie de problèmes connaît une solution relativement simple : l'administration au patient de l'hormone manquante. Cependant, le deuxième type de problème est incurable. Il est lié à un défaut, une malformation du récepteur qui l'empêche de reconnaître correctement l'hormone. Dans une perspective d'organismes-machines, cette déficience est considérée comme une maladie génétique, c'est-à-dire qu'elle est attribuée à une anomalie dans le gène codant pour la fabrication du récepteur en question. Et pourtant, des expériences déjà fort anciennes sur la reconnaissance des hormones stéroïdes (entre autres responsables de la fécondité) révèlent une tout autre situation.

Si l'on expose des foetus de rats à une hormone stéroïde modifiée (en l'injectant à leur mère, par exemple), alors ces rats, une fois arrivés à l'état adulte, montrent des troubles du comportement sexuel et de la fertilité. Cette déficience est due au fait que les récepteurs présents dans les cellules cibles (les « serrures ») ne savent plus reconnaître l'hormone naturellement produite par ces rats. Par contre, ces mêmes récepteurs savent très bien reconnaître l'hormone stéroïde modifiée, celle qui avait été administrée à leur mère durant la gestation. Les auteurs de ces expériences en conclurent que les récepteurs affinent leur spécificité lors du premier contact avec l'hormone en question. Ce phénomène, ne se produisant que durant une période très précise du développement embryonnaire, fut qualifié d'imprégnation hormonale.

L'imprégnation hormonale n'est pas limitée aux stéroïdes chez les rats. Elle touche également l'homme, en créant bien des troubles de fonctionnement comme de comportement. Ainsi, les auteurs de ces études remarquent que de nombreux polluants (dérivés du plastique, combustion des carburants) ont une allure « globalement stéroïde », ce qui stimule une imprégnation hormonale incorrecte des cellules cibles. Il en est de même des hormones stéroïdes de synthèse (utilisées pour résoudre quelques problèmes durant la grossesse) ou même certaines vitamines (A, D, E et K) administrées aux femmes enceintes. Tous ces facteurs provoquent des troubles du fonctionnement hormonal une fois que les enfants atteignent la puberté.


(1) Note de l'auteur : voir à ce sujet les articles de synthèse publiés par G. Csaba en 1994 (Phylogeny and ontogeny of chemical signaling: origin and development of hormone receptors) et en 2000 (Hormonal imprinting: its role during the evolution and development of hormones and receptors).