Le mal-naître en France

Extraits du courrier des lecteurs des Dossiers de l'Obstétrique


Les Dossiers de l'Obstétrique, 282, avril 2000, p.42

Terrigal (Australie), le 29.02.2000
Aux Dossiers de l'Obstétrique

Madame, Monsieur,

Par la présente, je tiens à renouveler mon abonnement aux Dossiers de l'Obstétrique à partir du mois de Mars 2000, puisque c'est le seul lien que j'ai avec l'obstétrique en France (que j'ai quittée en 1982).

Je dois dire que j'ai pensé longuement avant de renouveler, car à travers les Dossiers je m'étais fait une certaine idée de l'évolution de l'obstétrique en France, que je pensais progressive, ouverte à l'écoute des couples, et lors de mon dernier voyage cette idée que je me faisais s'est avérée fausse. Je dois dire que je n'ai visité que deux hôpitaux à Paris et quelques uns en province, mais en discutant avec mes collègues je me suis sentie aliénée. J'ai trouvé que la poussée dans l'éducation des sages-femmes est vers plus de médicalisation plutôt que moins. En voulant en faire des sages-femmes super-compétentes, on va finit par en faire des petits médecins.

En Australie, nous sommes en train de travailler sur un document visant à établir un programme d'études de sages-femmes à entrée directe comme en France pour remplacer le système infirmière/sage-femme qui existe ici comme en Angleterre, mais quand j'ai présenté le programme français à titre d'exemple, Il a été rejeté car trop médical.

Je travaille en Australie, à Gosford, dans une équipe similaire au "Know your midwife" de Caroline Flint au Royaume Uni, et notre philosophie est de travailler en collaboration avec la femme et le couple, une grande importance est donnée à la communication. Nous promulguons la Naissance Active, nous encourageons l'utilisation de certaines médecines douces, en ce moment nous participons à un projet de recherche sur l'efficacité de la réflexologie des pieds sur les oedèmes de fin de grossesse. 36 de nos sages-femmes ont déjà obtenu le certificat de "Maternity reflexology", afin de pouvoir offrir une alternative aux traitements conventionnels des petits maux de la grossesse.

Nous travaillons également sur un document visant à légaliser l'utilisation d'huiles essentielles en salle de travail...

Notre maternité fait 2500 à 5400 accouchements/an.

Veuillez agréer mes sincères salutations

Bernadette Leiser


Les Dossiers de l'Obstétrique, 283, mai 2000, p.40-41

Aux "D.O"
le l6/04/2000

Dans le numéro d'Avril, la lettre de Bernadette Leiser m'a aidée à formuler ce que je ressens moi-même de l'exercice de mon métier de sage-femme.

En France, depuis des années, nous nous payons de mots, nous organisons des colloques, congrès, symposium, machines à bla-bla pour nous émerveiller devant les découvertes récentes.

La nature fait, dans la majorité des cas bien son travail, une surveillance sensée des grossesses, sans recours systématique à l'hypermédicalisation permet de cibler celles qui sont vraiment "à risque" et même de réduire certaines pathologies comme la MAP. La mère et le nouveau-né ont surtout besoin de douceur, de confort, de confiance.

C'est bel et bien, mais dès la fin du congrès, tout cela est vite oublié, ça a fait rêver, ça a déclenché une petite vague d'enthousiasme l'espace d'un week-end, mais cela n'est pas applicable chez nous. Ce n'est pas sérieux...

Regardons-nous bien en face. Qui, parmi les "professionnels" a vraiment envie de faire bouger les choses ? Quelques libérales qui, contrairement à leurs consoeurs ne pratiquant que le monitoring -je l'ai fait - rament à la limite du seuil de pauvreté.

J'aurais aimé venir aux "Journées Naissance et Citoyenneté". Je n'en ai hélas pas les moyens.

Il y a autre chose qui me tracasse en France et qui me semble un obstacle à la pratique de l'obstétrique telle qu'elle apparaît dans d'autres pays : il y a peu de demande pour un changement de pratique...

Ce qui a vraiment de la gueule dans la vie d'une française moyenne, c'est la multiplication des actes (épisio, spatules, péridurale, mise en couveuse, séparation). Tout cela, dans les discours que j'entends, est valorisant.

"Heureusement que mon gynéco était là, il nous a sauvé la vie. Heureusement que le pédiatre était là, il me l'a mis en couveuse parce qu'il avait froid" etc...

Il me semble que je me suis bercée d'illusions et que l'attente de 99% des couples est vers plus de prise en charge agressive, les soignants se sentant valorisés par une attitude du style : "je sais ce que je fais, ne vous en mêlez pas" et la mère de son côté, par la quantité de ses pathologies et le bébé idem.

Donc il reste 1% de la population, en étant large, qui a le désir de s'adresser à nous les "alternatifs" de la naissance. Et dans ce 1%, quelques mères présenteront malheureusement des pathologies réelles qui nous les feront orienter vers un praticien hospitalier.

Certaines seront dissuadées par leur entourage ou par un médecin/infirmier/personnel de santé vu en cours de grossesse pour un symptôme banal bien souvent... "mais c'est très dangereux, vous ou le bébé risquez de mourir".

Alors comment faire pour vivre quand même ?

  1. se prostituer en faisant des monitorings à domicile sur ordonnance, souvent pour des pseudo-pathologies. Enfin cela permet d'offrir une écoute à des femmes qui, bien souvent, n'en ont pas eu depuis longtemps.
  2. faire des séances de préparation à l'accouchement et en sortir brisée parce que :
    Parlez donc de petite piqûre, petite demi-pince pour rompre la poche des eaux, petite épisiotomie sans douleur, petites spatules douces ne blessant jamais ni le bébé, ni la mère (utiliser plutôt "cuiller", d'ailleurs, c'est plus bénin), petit séjour en couveuse pour se réchauffer après petits soins au bébé (aspiration, ça la "fout mal").
  3. faire de la rééducation périnéale. Là encore on a un rôle. Mais avec les années, on affine son toucher et on sent les horreurs des épisios à peine recousues, mal recousues...
  4. faire des ménages. Je pense sérieusement que c'est mon avenir et il me serait doux de mourir tout simplement, tant j'ai investi de tripes dans ce métier et tant j'en sors meurtrie. Heureusement, j'ai encore deux enfants et je ferai un effort pour eux.

Sincèrement,

Joëlle Pawlik


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