La crise des maternités : quelques réflexions sur une faillite prévisible

Michel Naiditch
Maître de conférence à l'Université Paris 7
Médecin de santé publique
Chercheur au DIES (développement, innovation, évaluation, santé)

La crise de la périnatalité ne saurait se réduire à une crise des conditions de fonctionnement des maternités comme certains experts veulent nous en persuader. Si la situation actuelle est aussi grave qu'on nous l'annonce (et il y a des raisons sérieuses de penser qu'elle l'est) alors la solution ne réside certainement pas dans la fermeture d'un grand nombre d'entre elles. Il faut savoir, en effet, que plus de 30% des maternités (40% dans le privé) ont fermé durant les dix dernières années sans que ces fermetures aient fait la preuve (c'est le moins que l'on puisse dire) de leur efficacité. La crise d'aujourd'hui constitue plutôt un témoignage éloquent (ajouterons nous un de plus) de l'incapacité des élites professionnelles et administratives à co-gérer de façon efficace le système de soins, c'est-à-dire à en définir des principes de fonctionnement et de régulation efficaces et à en prédire les évolutions pour en tirer les conséquences en matière d'organisation et de financement. Plutôt que de se contenter d'agir comme cela a été constamment le cas depuis 50 ans dans l'urgence, seule une analyse à froid des conditions ayant produite cette crise peut permettre de mettre à jour des solutions viables et de long terme. C'est à cet exercice que nous souhaitons nous livrer.

Trois grandes causes sont mises en avant pour expliquer la situation actuelle : la mise en place des trente cinq heures, les mesures liées à la prochaine application du repos de sécurité, enfin le manque de personnel soignant qualifié, aggravé par la nécessité de respecter les normes de fonctionnement prévues dans les décrets sur la périnatalité et concernant plus particulièrement les personnels des services de soins intensifs destinés aux nouveau-nés.

La solution « rationnelle » proposée fait comme toujours appel à la centralisation des moyens. Dans le schéma dont les grands principes se devinent au travers des déclarations assez bien orchestrées des responsables politiques et des experts, seules quelques centaines de maternités, concentrant alors la plus grande partie des moyens humains et techniques disponibles, conserveraient leur activité d'accouchements. Devenues, de ce fait, de véritables « usines à accoucher », réalisant en moyenne plus de cinq mille naissances par an en ne gardant après leur accouchement que les cas les plus sévères et donc les plus coûteux, elles se trouveraient dans l'obligation (rentabilité oblige) de renvoyer dans des délais que l'on n'ose imaginer, les femmes et leurs nouveau-nés. Ce serait alors le rôle des centres périnataux de proximité (nouveaux noms donnés aux nombreux établissements ayant perdu le droit de réaliser des accouchements) de recueillir ces femmes avec leurs nouveau-nés pour lesquelles un séjour hospitalier s'imposerait ; les autres devant de débrouiller par elles-mêmes.

Voilà le futur qui nous est annoncé comme la seule issue possible de sortie d'une crise.

Deux questions viennent immédiatement à l'esprit : que faut-il penser des arguments utilisés pour justifier le schéma qu'on nous propose ? n'existe-t'il pas d'autres causes plus déterminantes et dont la non prise en compte dans le débat condamne la possibilité d'envisager des solutions plus viables sur le long terme ? C'est ce que nous allons examiner mais après avoir répondu brièvement à la seconde question : Que penser de l'efficacité réelle du dispositif envisagé : ne risque-t-il pas plutôt d'aggraver la situation actuelle notamment en terme de repérage des couples mères enfants fragiles (5 à 40% des cas selon les territoires concernés) et qui nécessiterait un suivi très spécifique ?. Constitue-t-il par ailleurs une réponse valable au problème des moyens humains dont manquent certains établissements ? Croit-on vraiment que c'est en procédant par des mesures de fermeture brutale qu'on récupèrera l'ensemble du personnel soignant y exerçant ? En ce qui concerne les sages-femmes et les puéricultrices, ceci est du domaine du possible mais il est plus que probable qu'il y aura des pertes importantes. En ce qui concerne les obstétriciens rien n'est moins sûr. Ici deux cas de figures sont à envisager : les obstétriciens du privé n'ont pas le même statut salarial que ceux du public (leur financement se fait à l'acte), leurs conditions de travail sont très supérieures tout comme leurs revenus à ceux de leurs confrères qui travaillent dans le secteur public (à la notable exception de ceux qui y pratiquent des consultations à titre privé, pratique de plus en plus répandue et qui si elle est destinée à compenser la lourdeur de leur tâche n'en contribue pas moins à fabriquer une médecine à deux vitesses). Ils n'ont donc que peu de raison de venir travailler dans les établissements publics maintenus et qui seront ceux concernés par la prise en charge des grossesses à risques, d'autant plus qu'ils se sentent peu attirés par ce type de travail. Différente apparaît la situation des obstétriciens salariés du secteur public et qui pourraient théoriquement s'intégrer aux établissement résiduels sans perte financière. Mais souhaiteront-ils venir travailler dans ces futures grandes usines nécessairement déshumanisantes alors que, dans des conditions difficiles, ils se sont efforcés jusqu'à aujourd'hui à pratiquer dans leurs établissements à taille humaine une obstétrique qui ne l'est pas moins ? Et peuvent-ils accepter de collaborer avec des collègues qui aujourd'hui se répandent sur leur incompétence en les accusant de ne pas savoir gérer les cas urgents et en les rendant responsables des mauvais résultats actuels ? Il y a donc fort à parier qu'ils choisiront dans ces conditions d'abandonner leur activité obstétricale ou qu'ils monnayeront leurs services (cf la remarque ci dessus) ou qu'ils choisiront d'aller s'installer dans le privé pour des raisons que nous allons examiner.

Mais auparavant, tordons le cou à l'argument : c'est la faute à la RTT ! Tout le monde connaît les difficultés à la mettre en place dans les hôpitaux mais celles-ci ne sont pas spécifiques au secteur de la naissance où elle ne constituent qu'un élément exogène d'une situation qui a ses causes propres. Elle a donc été introduite dans le débat par ceux qui le mènent, en tant qu'argumentaire visant à faire accepter la solution proposée, en la mettant au service d'une rhétorique qui lui donne une coloration politique au goût du jour et donc vendable aux autorités politiques du moment.

La crise de la démographie médicale constitue elle une réalité autrement consistante et particulièrement dans certaines spécialités concernées directement par la naissance (sage-femmes, puéricultrices, pédiatres néonataux) On remarquera que je n'ai pas inclus les obstétriciens pour des raisons qui apparaîtront clairement par la suite. Cette crise démographique constitue d'abord un exemple frappant de l'absence de volonté des organisations professionnelles et syndicales, et notamment des obstétriciens, de rentrer dans une véritable politique de régulation des flux de l'ensemble des disciplines sur le devenir desquelles ils exercent une influence déterminante. Invoquer alors comme le font leurs principaux responsables d'aujourd'hui l'existence de cette crise relève d'une malhonnêteté intellectuelle particulièrement mal venue de la part de ceux qui sont censés être les experts du domaine et qui disposaient par ailleurs de tous les éléments pour la prévoir de longue date et donc pour agir. S'ils ont choisi de ne rien entreprendre de conséquent depuis maintenant 15 ans (en dehors d'user de la rhétorique classique du « plus de moyens ») pour en combattre les effets prévisibles, c'est d'abord par crainte (comme nous allons le montrer) de mettre en danger les équilibres politiques existant à l'intérieur de la profession mais aussi avec les autres professions concernées. Leur inaction dans ce domaine ne saurait par ailleurs s'excuser par celle tout aussi coupable de l'administration. Cette absence de vision prospective et pour les mêmes raisons n'a pas été moindre dans le domaine de l'organisation des soins où il a fallu près de 15 ans et la mise en évidence sur la place publique de nos mauvais résultats pour que la circulaire organisant la mise en réseaux des maternités voit le jour après 10 ans de gestation et grâce au combat obstiné d'une minorité d'obstétriciens alliée à la majorité des pédiatres contre la volonté de leur propre majorité. Le contenu des ordonnances porte par ailleurs la marque du véritable « délire sécuritaire » de l'époque où elles ont été rédigées, marquée par les affaires du sang contaminé et l'émergence de celle relative à la vache folle. Ceci explique en partie le niveau excessif des normes de sécurité dont tout le monde (à commencer par les experts qui les avaient défendus) s'accordent à dire aujourd'hui qu'elles sont impossibles à respecter notamment dans le contexte de pénurie de cette catégorie de soignants. Mais elle porte aussi la trace des contradictions internes à la profession mais aussi des conflits non réglés entre obstétriciens et sages-femmes et ce jusqu'à maintenant. C'est l'un d'entre eux que nous allons examiner car ses conséquences sont aujourd'hui majeures à la fois pour expliquer la situation actuelle et pour comprendre l'incapacité des professionnels et de l'Etat à construire une solution viable à la crise actuelle.

Il n'existe pas en France à l'heure actuelle, contrairement à ce qui est affiché comme une évidence, de pénuries d'obstétriciens : un chiffre suffit à le démontrer, celui du nombre moyen d'accouchement annuel réalisé en France par un obstétricien et qui se situe dans la moyenne des autres pays européens. Alors comment expliquer cette erreur d'appréciation ? Simplement par le fait suivant : dans notre pays une grande partie des obstétriciens en particulier ceux du secteur privé sont payés pour prendre en charge des femmes qui dans les autres pays sont suivies et accouchées par d'autres soignants (le plus souvent par des sages femmes) avec de meilleurs résultats et pour un coût moindre. Dit autrement : alors que les obstétriciens en France ont été formés, comme tous les autres spécialistes pour s'occuper des pathologies, ils sont considérés chez nous comme devant être les responsables du suivi de l'ensemble des grossesses. 40% d'entre eux et notamment ceux du secteur privé ou les grossesses suivies sont presque exclusivement normales (elles constituent 80 et 90 % de l'ensemble des grossesses) s'occupent donc d'un champ d'activité pour lequel leur expertise spécifique n'est pas considéré comme une nécessité dans les autres pays européens.

Comment s'explique cette main mise par les obstétriciens français sur l'ensemble des grossesses et qui les détournent de leur véritable mission en privant les maternités gérant les grossesses à risques d'une ressource rare et nécessaire ? Par la thèse suivante et qui est propre à l'obstétrique française : partant du constat, en partie vrai mais de façon très relative, selon lequel tout accouchement est potentiellement à risques, ils ont décrété que toute grossesse l'était également. D'où ipso facto la nécessité de faire appel systématiquement à leur expertise. Le second effet, encore plus corrosif, a été de tarir radicalement le recrutement de sages-femmes dont la mission est de s'occuper des grossesses physiologiques (mais également de limiter le nombre de puéricultrices formées) en les orientant préférentiellement vers l'hôpital. D'où cette situation paradoxale :une grande partie d'entre elles s'occupent aujourd'hui de grossesses pathologiques dans les hôpitaux alors qu'une partie des obstétriciens s'occupent de grossesses non pathologiques dans les cliniques. On marche sur la tête ! Le troisième effet, le plus grave de cette conception du risque, a été de rendre impossible une organisation rationnelle de sa gestion lors du suivi de grossesse. En effet, le risque étant permanent et omniprésent, il devenait inutile d'essayer de le dépister et de le prévenir.

Or, l'organisation du suivi de grossesse chez la très grande majorité de nos voisins de L'UE est fondée sur un raisonnement exactement inverse : à savoir que toute grossesse, sauf antécédents particuliers, y est considérée a priori comme normale.

Ces pays qui ont dans leur majorité de meilleurs résultats que notre pays, ont choisi en conséquence de confier la responsabilité du suivi de ce type de grossesses physiologiques aux sages-femmes ou à des infirmières spécialisées. Celles-ci qui agissent seules ou en complémentarité avec des généralistes bien formés sont aussi responsables des lieux d'accouchement spécifiques des femmes qu'elles suivent. Les spécialistes n'interviennent pas dans leur gestion se concentrant sur le c?ur de leur métier : l'administration de conseils pour le suivi et le suivi complet des grossesses qui nécessitent des soins particuliers et donc une expertise et un environnement spécifiques. Il existe par ailleurs un excellent système de coordination des soins entre les différents professionnels et les lieux d'accouchement qui rend aisée l'intervention des spécialistes mais uniquement lorsque celle-ci s'avère nécessaire du fait de l'évolution de la grossesse et ce de façon organisée, y compris dans les rares situations d'urgence. L'efficacité et l'économie du dispositif réside aussi dans le fait que chaque femme est prise en charge selon des modalités de suivi adaptées à son niveau de risque et par un type de soignant différent mais dont c'est la mission spécifique et reconnue par l'Etat. Ainsi, il n'existe pas ou peu de conflits sur les champs de compétences respectives et leurs interventions peuvent être coordonnées de façon à assurer à chaque instant une adaptation des procédures de suivi. La sécurité réside non pas dans le recours systématique à la technologie et donc dans le recours aux maternités mais dans la capacité de l'organisation dans son ensemble à se montrer suffisamment flexible en fonction des situations durant toute la grossesse. C'est donc le fait de ne pas considérer toute grossesse comme a priori à risques qui a permis d'organiser les différents professionnels de façon à pouvoir dépister les risques là où ils ont le plus de chance d'apparaître, tout au long du suivi et de pouvoir ensuite en gérer les conséquences potentielles, non seulement en amont de l'accouchement, mais également après avec une organisation remarquable de la période de suite de couches. Il s'agit là d'une véritable approche de santé publique qui n'a rien à voir avec l'utilisation abusive de ce terme que certains professionnels font pour essayer de vendre une politique qui en est l'exacte opposé.

Plutôt que d'essayer de régler à court terme le problème du manque d'obstétriciens et des autres professionnels dans le secteur public par des mesures de fermeture qui ont de fortes chance d'être inopérantes car ne traitant pas les vraies causes de dysfonctionnement, il faut se diriger vers un modèle d'organisation plus proche de celui de nos voisins car plus efficace. Mais il ne faut pas se leurrer sur la difficulté des obstacles à surmonter.

Il faudrait d'abord que les obstétriciens fassent preuve de plus de courage collectivement en acceptant de se cantonner à leur domaine d'expertise et qu'ils contribuent à faciliter le basculement du suivi des grossesses à bas risques vers d'autres professionnels. Pour cela, il faut que ceux d'entre eux qui disposent d'un magistère d'influence et dont certains (il en existe) partagent en partie le point de vue développé dans ces lignes, acceptent de dire publiquement que l'intervention d'un obstétricien pour le bon suivi d'une grossesse n'est pas nécessaire dans la majorité des cas. Auront-ils le courage de le faire et de prendre le risque d'un conflit éventuel avec ceux de leurs pairs, notamment du privé, qui seraient peu enclins à abandonner cette activité ?

Les sages-femmes, pour leur part, sont-elles prêtes à prendre le relais et à se comporter en groupe professionnel responsable, en acceptant de s'engager collectivement dans cette mission de santé publique. Ceci suppose que leur(s) syndicat(s) soi(en)t capable(s) de mettre de l'ordre dans les priorités d'une profession qui peine à se libérer mentalement de la tutelle médicale et à assumer collectivement les conséquences en terme politique de l'autonomie récemment acquise par leur ordre professionnel. (NDLR : L'article 7 du nouveau Code de déontologie des sages-femmes de 1991 dit que : " La sage-femme ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit ". Ceci veut dire que la sage-femme a une complète indépendance professionnelle.)

L'Etat, pour sa part, aura-t-il suffisamment de courage et l'autorité nécessaires pour impulser mais aussi éventuellement forcer au nom du bien public, les solutions qui répondent le mieux aux besoins des femmes et des nouveaux-nés plutôt que de se contenter d'erzats de solutions ? Et sans se limiter à ouvrir une filière supplémentaire pour les obstétriciens (12 ans de formation), mesure vaine isolément et vouée à l'échec si on n'agit pas sur les causes qui ont rendu cette profession orpheline de vocation, acceptera-t-il de donner un signe tangible du changement d'orientation de sa politique en ouvrant par exemple sur le champ et très largement la filière de formation des sages-femmes (5 ans de formation seulement) pour préparer le basculement du suivi majoritairement vers ce groupe tout en facilitant son autonomie en les institutionnalisant dans leur mission spécifique tout en incitant par des mesures économiques intelligentes, les femmes à bas risques à se faire suivre par elles ?

Il est probable que si on interrogeait ces dernières (ou plutôt si on tenait compte de ce que nous savons de leurs attentes), la mise en place d'une telle organisation répondrait assez largement à ce que souhaite un grand nombre d'entre elles sans remettre en cause les attentes de celles qui préfèrent un encadrement plus technique. Il suffit d'un peu de courage et d'imagination pour ceux qui nous gouvernent et d'énergie pour ceux dont le métier demeure encore une vocation.


Regroupement de maternités dijonnaises : les usagers émettent des objections

La fermeture de la maternité de Chenôve est annoncée depuis des mois. Les autorités administratives (la COMEX) vont statuer sur son sort le 11 décembre.

S'étant organisé en association (112 adhérents et 8000 signatures rassemblées en faveur de la maternité de Chenôve), les usagers ont des le début demandé à être associés aux concertations qui préparent la décision. S'ils ont été reçus par les principaux responsables (ARH, CRAM, rapporteur du dossier au CROSS, Générale de Santé,...), ils n'ont en revanche eu aucun accès aux pièces du dossier (demande de transfert déposée par l'opérateur privé, rapport fait au CROSS, réserves émises par le CROSS à l'issue de son avis favorable, étude de la situation par un cabinet conseil présenté aux seuls élus).

Les pouvoirs publics reconnaissent qu'en dépit du fait que la question concerne l'intérêt général et la santé publique, s'agissant d'un opérateur privé ils n'ont guère de pouvoir pour faire obstacle à un transfert d'activité et qu'ils redoutent avant tout une fermeture pure et simple. De leur côté, les promoteurs du regroupement des maternités de Ste Marthe et Chenôve prétendent qu'ils « maîtrisent déjà parfaitement les conséquences » du regroupement et garantissent être en mesure de « maintenir le niveau de qualité que nous proposons déjà à nos patientes » (Bien Public du 28 novembre). Or les arguments exposés dans la presse sont discutables et une partie des chiffres avancés sont faux.

Avant de se prononcer sur le sort de la maternité de Chenôve, nous demandons aux membres de la COMEX d'entendre nos objections à ce projet de regroupement.

Une réduction de l'offre à un moment où la natalité remonte

Contrairement à ce qu'affirment les promoteurs du regroupement, il n'y a pas conservation intégrale des capacités : si la Générale de Santé a l'intention de transférer les 20 lits de Chenôve et de garder 10 lits de gynécologie sur place, le solde n'est pas équivalent en dépit des apparences. En effet, jouant sur un volant total de 30 lits d'obstétrique selon le principe des vases communicants, la maternité de Chenôve a de fait une capacité d'accueil lui permettant davantage de faire face aux périodes de pointe (en dépit de cette souplesse, ce n'est pas toujours suffisant puisqu'il est arrivé que des femmes soient accueillies en chirurgie faute de place en obstétrique).

Pour faire croire que la maternité de Chenôve est un établissement sous-utilisé, la Générale de Santé n'hésite pas à avancer dans la presse des chiffres erronés (un taux dŒoccupation de 55 % établi en prenant les seules naissances et en divisant par les 30 lits qui de fait accueillent aussi la chirurgie gynécologique !). Le taux d'occupation des années antérieures oscille entre 65 et 72 % et malgré les menaces qui pèsent depuis des mois, cet établissement « résiste » même plutôt bien grâce à la fidélité de sa clientèle. D'ailleurs, pour ce qui concerne la réponse aux besoins, il nous semble que le taux d'occupation n'est pas une donnée pertinente en matière de naissance puisqu'il s'agit d'un phénomène comportant une part d'aléatoire. Ce sont les pics de saturation qu'il faut observer et les 3 maternités dijonnaises en connaissent déjà plusieurs fois par an (sans qu'on ait daigné nous communiquer des chiffres précis en la matière). De fait, il arrive déjà que des femmes de l'agglomération dijonnaise soient envoyées dans l'urgence accoucher ailleurs, ce qui est anormal.

Il est inadmissible de réduire la capacité d'accueil des femmes enceintes dans un contexte où la natalité augmente et où la disparition de petites maternités risque de faire s'élever la demande dans l'agglomération dijonnaise. Les perspectives d'extension de la capacité d'accueil du CHU sont les bienvenues mais, en raison des lourds travaux nécessités, elles ne seront effectives que dans quelques années (pour l'instant on y met les femmes à 2 par chambre, ce qui n'est pas l'intimité idéale au moment où se constitue ou s'élargit une famille !). Où iront accoucher les femmes en attendant que le Bocage puisse les accueillir ?

Dans cette situation tendue, on peut craindre que les durées de séjours soient encore écourtées pour libérer de la place. Même si des projets de suivi à domicile sont envisagés (ce qui est une bonne chose en soit), il existe une réelle incohérence entre la promotion de l'allaitement, le souhait d'un meilleur accompagnement de la parentalité et le retour accéléré des femmes à la maison. Trois jours en suite de couche peuvent convenir lorsque les conditions idéales sont remplies (accouchement sans aucune complication, père disponible, mère expérimentée ayant quelqu'un pour l'aider à s'occuper des frères et s?urs, logement permettant de préserver le repos de la mère,...). Mais quid des autres situations, de loin les plus nombreuses : mères inexpérimentées désemparées, renvoyées chez elles en plein baby blues et alors que la montée de lait se fait tout juste, sans conseils de puériculture suffisants pour se retrouver dans une grande solitude ou dans des conditions de vie peu propices au repos et à la mise en place d'un lien mère-enfant serein. La consommation parfois effarante de médicaments en post partum, les échecs d'allaitement et les ré hospitalisations de nouveau-nés témoignent de l'importance de ne pas brusquer les choses au moment d'une naissance.

Par ailleurs, si la maternité part de la clinique de Chenôve, on peut douter que l'activité de gynécologie chirurgicale y soit durablement maintenue car comment imaginer que les mêmes médecins assurent des consultations dans des cabinets de ville, opèrent à Chenôve et suivent des accouchements à Ste Marthe (si ce n'est pour certains d'entre intervenir encore dans un autre lieu) ? A terme, ces lits qui fonctionnaient comme de précieuses soupapes pour l'obstétrique seraient-ils aussi perdus pour la gynécologie ?

Des femmes et des enfants bousculés

Mais c'est au niveau des salles de naissance que le problème risque d'être le plus épineux si le regroupement des deux maternités s'opère. Difficile d'imaginer accueillir correctement plus de 1000 naissances supplémentaires avec seulement une salle d'accouchement de plus (il y en a 4 à Chenôve). Déjà avec l'activité existante, le bloc d'accouchement de Ste Marthe est saturé plusieurs fois par an et contraint à des aménagements peu satisfaisants. Le directeur affirme qu'on « ne pousse pas les murs mais que la place sera faite par un savant jeu de chaises musicales ». Remarquons que dans ce jeu, il y toujours quelqu'un qui se retrouve dépourvu de place !

Avec un bloc d'accouchement encombré, les professionnels auront du mal à respecter le rythme spontané de la venue au monde des enfants. Ils seront tentés (contraints ?) d'accélérer ou de ralentir artificiellement le cours des accouchements pour saisir un moment où une salle est libre. Or, les déclenchements multiplient le nombre d'accouchements traumatiques, banalisés au motif qu'une femme sous péridurale ne sent rien (sur le moment)... ! Ne pas respecter le déroulement physiologique des accouchements sans motif médical constitue une violence faite aux femmes et à leur bébé. Il est inacceptable de décider de les faire naître à la chaîne, tel jour, à telle heure, et vite, pour libérer de la place, à grand coup de médicalisation indue, trompeuse pour les femmes et coûteuse pour la collectivité.

Un accouchement spontané étant en général plus rapide qu'un accouchement provoqué, il n'est cependant pas exclu que l'augmentation d'activité favorise la réduction des déclenchements de convenance (faciles à planifier mais mobilisant plus longtemps les salles de naissance). Même si cela peut contrarier la demande première de certaines d'entre elles, ce serait tout bénéfice pour les femmes et leurs enfants. Mais cela supposerait une véritable révolution dans la manière de travailler d'un établissement très « interventionniste »...

Quant au service de néonatalogie qui devrait doubler sa capacité d'accueil si Ste Marthe absorbe la maternité de Chenôve, on peut se demander s'il s'agit d'une répartition judicieuse du potentiel de soin des bébés. Six lits de néonatalogie avaient été mis à la disposition de Chenôve par le CHU qui entendait bien les récupérer. En effet, une partie des femmes qui allaient à Chenôve iront vraisemblablement accoucher à l'hôpital ; or celui-ci ne verra pas augmenter sa capacité d'accueil des nouveau-nés en détresse, pourtant insuffisante. Des femmes accouchant à l'hôpital verront donc leur bébé emporté à Ste Marthe, voire à Besançon, faute de lits de néonatalogie sur place. Cela arrive déjà mais cela va immanquablement s'aggraver à l'avenir. Alors qu'on pourrait s'organiser autrement, imposer une telle séparation à l'aube de la vie est choquant !

Des dysfonctionnements prévisibles

Pour l'instant, il n'y a d'astreinte à Ste Marthe que les week-ends, les obstétriciens venant en principe lorsque les patientes qu'ils suivent accouchent. Or, il est prévu d'imposer des gardes sur place mais rien ne prouve que les médecins s'y plieront (n'étant pas subordonnés à la direction) et que le système fonctionnera de manière satisfaisante. Comment des médecins dont certains ont une clientèle quatre fois supérieure à d'autres accepteront de se partager les accouchements ? Ne seront-ils pas tentés d'accélérer les accouchements pour qu'ils surviennent dans la journée plutôt que de confier leurs clientes à leur confrère de garde la nuit ? Des tensions risquent de générer des dysfonctionnements et de l'insécurité au détriment des femmes.

De même de fortes tensions s'exerceront immanquablement sur les sages-femmes, une profession dont la compétence et l'autonomie sont déjà mal reconnues et qui risque avec ce surcroît d'activité de ne plus reconnaître son métier et de partir, alors qu'on manque déjà cruellement de sages-femmes.

En son temps, l'affluence consécutive à la fermeture de la maternité de Drevon sans personnel supplémentaire avait nuit au fonctionnement de la maternité de Chenôve. Or, Ste Marthe ne bénéficiera vraisemblablement pas d'un surcroît de personnel proportionnel à son augmentation d'activité. D'après les informations dont nous disposons, le personnel de Chenôve qui ira à Sainte Marthe sera inférieur à ce que les promoteurs alignent sur le papier pour tenter de prouver qu'ils seront en mesure d'être en conformité avec les normes du décret de 1998 (normes fallacieuses d'ailleurs puisque quasiment jamais appliquées faute de professionnels disponibles, à tel point que les autorités publiques sont en train de les réviser à la baisse !).

On sait bien qu'une activité soutenue avec un personnel insuffisant, donc débordé et stressé, pousse à une médicalisation abusive des accouchements : systématisation de la péridurale (qui évite d'avoir à accompagner les femmes qu'on se contente de surveiller épisodiquement par monitoring interposé), césariennes plus fréquentes, recours instrumental injustifié. On est bien en droit de se demander dans quelle ambiance accoucheront les femmes si les deux maternités fusionnent ?

Un contre-sens du point de vue social et urbanistique

Ce n'est sans doute pas la préoccupation des décideurs du champ sanitaire mais il faut bien admettre que dans une perspective « sociétale », le regroupement des deux maternités rue de la Préfecture constitue une erreur en terme d'organisation du territoire.

En dépouillant une ZUP de sa maternité, la politique de santé défait ce que la politique de la ville tente difficilement d'accomplir (contrairement à ce que dit la Générale de Santé, 62 % des femmes de Chenôve accouchent dans la maternité de leur ville). Et ce, pour venir encombrer un centre ville ! On peut estimer à 25 000 par an les passages qui seraient générés par la venue des femmes accouchant jusqu'à présent à Chenôve, soit 70 par jour (hors de toute pathologie et non compris l'éventuelle préparation à la naissance faite sur place) ! Comment ce quartier déjà bien encombré va-t-il pouvoir absorber ce surplus de circulation et de stationnement ? On prétend que les femmes n'auront qu'à sonner le jour de l'accouchement pour accéder au parking privé. Un peu juste comme réponse !

Par ailleurs, « l'accessibilité financière » des deux établissements n'est pas comparable. Chenôve constitue une des rares maternités privées où il n'y a pas d'abus tarifaires, la plupart des médecins étant en secteur I et ne pratiquant pas de dépassement d'honoraires (et c'est elle qui serait sanctionnée par sa fermeture !). En revanche, Ste Marthe s'est depuis longtemps alignée sur les pratiques habituelles du secteur privé : honoraires abusifs (y compris dans des situations où la clientèle est « captive » faute de choix possible, comme c'est le cas pour l'accès à la péridurale), caution et suppléments divers.

Faire autrement ?

Contrairement à ce que prétend la Générale de Santé, le vrai résultat de ce transfert s'il a lieu ne sera t-il pas de récupérer environ 500 accouchements (la clientèle susceptible de débourser les suppléments exigés) permettant à la maternité de Ste Marthe d'atteindre un meilleur seuil de rentabilité ? Les autres femmes étant envoyées ailleurs... Or le CHU n'est pas en mesure avant des années d'accueillir un surcroît d'activité. De plus, il n'est pas pensable que les moyens de l'hôpital soient accaparés par des accouchements ordinaires au détriment de sa vocation régionale d'accueillir les grossesses à risque. Et immanquablement des dijonnaises seront envoyées à Beaune ou Besançon, faute de trouver dans la capitale régionale une place pour mettre au monde leur enfant !

Au-delà du cas de la maternité de Chenôve, les usagers considèrent qu'il est temps de sortir d'une conception étroite de la sécurité, se focalisant exclusivement sur la sécurité somatique de l'accouchement en négligeant le reste : l'accompagnement pré et post natal, la sécurité intérieure des femmes, le dialogue loyal avec les professionnels.

La concentration des équipements peut être le premier réflexe dans ces temps de pénurie de professionnels ; elle n'est sûrement pas la meilleure solution pour allier sécurité et qualité. Des maternités de taille modeste et un accompagnement global sont plus propices à l'écoute des couples, au respect de leurs souhaits et la sérénité permettant aux corps des femmes de s'ouvrir le moment venu sans le secours d'artifices et aux bébés d'être accueillis comme il se doit. Les établissements concentrés génèrent des risques et du stress quant à leur accessibilité et poussent à anticiper les naissances pour ne pas se laisser surprendre par leur survenue spontanée. Les « maternités-usines » obligent à des cadences infernales qui risquent de dénaturer l'arrivée au monde des enfants et de faire oublier aux professionnels l'essence même de leur métier : une maïeutique respectueuse des êtres dans leurs dimensions corporelle et psychologique.

Les usagers sont prêts à contribuer de manière constructive à la réflexion sur les alternatives possibles pour améliorer les conditions de la naissance.

Association "Naître à Chenôve"
E-mail : naitreachenove@yahoo.fr
http://www.geocities.com/naitreachenove/action.html


Sites Internet et associations francophones pour une approche « citoyenne » de la naissance