L'accouchement? C'est le choix de la mère...

Bernard Bel

Extraits d'un échange sur la liste "Naissance", le 27/2/00, au cours d'une discussion sur la légalisation des sages-femmes au Québec.

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Marypascal Beauregard" <beauregard66@hotmail.com> a écrit:

>Je pense
>depuis un bon bout de temps, et ça s'est confirmé après avoir écrit à Leilah
>McCracken, qu'il faudrait une coalition mondiale sur la naissance. Diriger
>toutes nos énergies vers le rassemblement de données, l'ébauche de dossiers
>sur "l'humanisation" des soins (dieu que je hais ce mot : humaniser. Ça
>veut dire que c'est qui qui donne les soins, des cochons ?) bon, sur les
>soins NORMAUX que des grossesses NORMALES demandent. Axer sur l'empowerment
>de la maternité et de la naissance. La grossesse, l'accouchement et
>l'allaitement sont des expressions typiquement féminines de notre sexualité.
>Réveillez-vous, réapproprions-nous ce qui nous appartient.

En France on entend souvent parler de "choix parental" à propos de la naissance... Un peu de la même manière qu'on parle de "liberté médicale" pour désigner en fait celle du choix d'un thérapeute (officiel ou "alternatif") et non une plus grande autonomie des individus vis à vis de leur santé. Pour (re)conquérir cette autonomie on a besoin à la fois de se ressensibiliser -- retrouver la confiance -- et de réfléchir sur les mécanismes de la maladie. Une réflexion qui est tout à fait à l'ordre du jour des recherches actuelles en biologie, mais pas dans la pratique médicale au quotidien, et encore moins dans le milieu des médecines "alternatives".

Chacun de ces points peut se transposer directement au domaine de la naissance. Pour commencer, le "choix parental" est en quelque sorte celui du lieu et des personnes qui vont endosser à notre place la responsabilité de l'accouchement. Dans une perspective d'autonomie, on n'est plus dans ce registre: il s'agit d'un choix individuel, celui de la femme qui accouche. (Un choix "féministe", si vous voulez, puisqu'il est fait par des femmes. Mais n'oublions pas que c'était aussi une revendication féministe d'exiger de ne plus souffrir en accouchant, quel que soit le moyen pour y parvenir...)

Je n'ai joué aucun rôle dans la décision qu'a prise Andréine, il y a 20 ans, d'accoucher seule. Je n'avais d'ailleurs aucune idée de ce qu'elle allait décider. J'ai assisté en spectateur à une rencontre fortuite avec Leboyer, où il lui disait que ces soi-disant "cliniques Leboyer" étaient une imposture et qu'elle ferait mieux de ne compter que sur elle-même. (L'influence de Leboyer a probablement été au delà de sa pensée, puisque lui-même n'a jamais remis en cause l'obstétrique médicale du côté de la femme. Son dernier ouvrage nous a plongés dans la consternation...)

Bref, l'accouchement, tel que nous le percevions, était le problème de la mère, et moi en tant que père je ne pouvais que l'accompagner là où elle voulait aller. Je l'aurais accompagnée à l'hôpital si ça avait été son choix. Quand on entend des pères dire: "JE veux que MON enfant..." c'est mal parti pour la mère! De même lorsqu'on induit certains "choix parentaux" sans laisser aux femmes l'initiative d'exprimer ce qu'elles désirent profondément.

Je ne prêche pas pour une démobilisation des hommes. Le père peut être un soutien considérable s'il est capable, comme sa femme, de "lâcher prise" et de laisser naître ses sensations profondes. Il peut partager tout cela parce qu'entre lui et sa compagne il n'y a pas de barrière, notamment dans la dimension sexuelle qui est au centre de cet événement. Mais je comprends que certaines femmes, à certains moments, aient envie de le vivre seules. Laura Shanley raconte que, pour un de ses accouchements, elle n'a pas prévenu son compagnon qui était occupé à lire dans la pièce à côté. Lui, assis, calme, sans angoisse, était le meilleur soutien pour sa compagne à ce moment là. J'ai compris ça la nuit où notre amie Sonia a accouché: je dormais dans la pièce à côté et j'ai été saisi de contractions...

Pour ce qui est de la sexualité de la naissance, on connaît surtout les témoignages d'expériences orgasmiques que les nord-américaines ont moins de gêne que nous à raconter. Mais la sexualité se décline sous d'innombrables formes et chacun en a une expérience incommunicable. Nous n'aurions pas spontanément utilisé ce terme pour qualifier ce que nous avons vécu. Et pourtant il y avait un état extatique, un déroulement complètement inhabituel du temps, des sensations olfactives bien particulières et, après la naissance, un profond sommeil qui nous a envahis tous les trois. Nous avons perdu le souvenir de ce qui s'est passé par la suite, de même qu'on oublie ses rêves. (Je précise que nous ne consommions pas de "drogues récréatives"!)

Dans le domaine de la santé, je disais qu'on a besoin à la fois de se ressensibiliser et de réfléchir rationnellement sur les mécanismes en jeu. Réfléchir, car devant la société on ne peut pas se contenter de clamer son autonomie et sa liberté. Comme le rappelle Paloma, la question de la sécurité de l'enfant revient toujours au premier plan. C'est pourquoi, plus on parle de liberté, plus il faut avoir des arguments solides pour la défendre et démontrer par A+B que les enfants ont tout à gagner à naître naturellement. Là, je rejoins entièrement Stéphanie lorsqu'elle écrit: "Ce n'est pas parce que la médecine se permet de faire l'économie de sa science qu'il faille discréditer tout savoir qui s'y transmet."

Le ressentiment de Marypascal contre les intellectuels conformistes m'est souvent revenu en tête, hier soir, lors d'une épuisante discussion avec un prof d'économie, fils et frère de médecin, qui s'efforçait de nous prouver (sans aucune référence à l'appui) que la médecine scientifique était l'unique cause du recul de la mortalité et de la morbidité dans les pays industrialisés. Il y a des soirs où l'on préfèrerait regarder la télé!

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Ce qui me choque dans le fait qu'on veuille former les sages-femmes quebécoises à l'université n'est donc pas tant l'université en elle-même, puisqu'elle a vocation, malgré ses limites, à servir de carrefour de connaissances, mais le fait que tout cet apprentissage devienne purement formel. (On pourrait aussi interdire aux gens de se marier sans avoir passé un diplôme de sexologie!) Vous avez conservé ce sens de la transmission "sensible" de femme à femme, et voilà que le législateur veut trancher ce lien. Exact, c'est un viol social ("law 28 is a social rape"). Comme si le mari de Laura, dont je parlais plus haut, avait soudain fait irruption dans la pièce où accouchait sa compagne "sauvage" en décidant de diriger les opérations.

Comme le dit Françoise, toute la différence tient dans la distinction entre un "suivi" (le terme médical à la mode) et un accompagnement. Même si on ne se retrouve pas dans toutes les belles envolées lyriques à propos de la naissance, on ne peut que tirer la sonnette d'alarme pour ce qui est de la rupture des femmes (et de leurs accompagnatrices/teurs) avec leurs sensations.

[...]

Bernard


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