Changer la naissance

Rencontre internationale "Naissance et Citoyenneté", Nantes, 5-6 mai 2000

Un rêve ? Non la traduction de Changing Childbirth, la politique de périnatalité induite par la commission parlementaire de 92: changer la naissance pour plus de satisfaction des femmes et des parents...

Cette décision est pleine d'enseignements pour nous à plus d'un titre :

Le Royaume Uni a une population et un niveau de vie comparables aux nôtres. Avant 93 les décisions de périnatalité dépendaient d'experts croyant exclusivement à la diminution de la mortalité périnatale par le regroupement de maternités au sein de grosses unités d'obstétrique et la fermeture de petites maternités. Une politique de périnatalité tout à fait équivalente à la nôtre, et favorisant les naissances à l'hôpital plutôt qu'à la maison.

J'ai voulu voir comment un tel changement de politique avait été possible. Bien sûr, la France et le Royaume Uni présentent bien des différences, mais j'ai pensé que nous pouvions en tirer sinon un enseignement, du moins des idées.

Ce qui a préludé à ce changement de politique est une longue marche des associations autour de la naissance dont une plus particulièrement : AIMS, association pour l'amélioration des services de maternité. Mais aussi le mouvement des sages-femmes radicales et d'autres associations de « consommateurs » ou professionnels qui ont fait nombre et qui ont renforcé à mon sens les idées présentées par AIMS.

Historique de AIMS

AIMS s'est créé en même temps que d'autres associations en 1960. A cette époque, sa fondatrice fit un séjour de 6 semaines mémorables dans un service de grossesses à risque et publia le récit de cette expérience et de ses observations dans la presse britannique. Elle reçut alors un déluge de lettres de femmes racontant des expériences similaires en maternité.

C'est alors que fut créée l'association de protection des femmes enceintes contre la cruauté. Cette association devint rapidement AIMS, Association pour l'amélioration des services de maternité. Cette association ne comporte guère plus d'un millier de membres mais très impliquées, bénévoles, indépendante de tout parti, groupe église et ne fonctionnant que par les cotisations et la vente de ses publications. Les membres répondent au courrier, au téléphone, font des recherches tant pour aider les parents en difficulté que par rapport à l'environnement de la naissance.

Les luttes de AIMS

La présence du père à la naissance de son enfant : cette lutte victorieuse fut entreprise aussi avec l'espoir que soutenues par les pères les femmes pourraient mieux s'exprimer en maternité. Il n'est que de voir ce qui se passe ici pour savoir que ça n'a rien changé sur ce plan.

La lutte pour les droits des parents : cette lutte a trouvé son intensification en 81: une femme désirant accoucher accroupie à l'hôpital de Hampstead, avait écrit à l'hôpital en ce sens. Elle pensait être entendue. Mais le jour de son accouchement la sage femme s'assit dans le coin de la pièce les bras croisés exigeant que la femme se soumette à ses diktats. Ce fut une naissance traumatique, très déplaisante qui entraîna la colère de tout un groupe de femmes participant à la préparation déjà assez célèbre en Angleterre : Active Birth, ou "naissance active", qui prônait la mobilité en cours de travail et la liberté de la position d'accouchement. Ces femmes décidèrent de faire un sit-in devant l'hôpital. Mais les différentes associations contactées en secret, il apparut bientôt que ce ne serait pas quelques 50 femmes enceintes mais bien des milliers de parents venant de toutes origines : Cornouailles, Irlande et Scandinavie.

Ce furent 6000 parents et enfants qui pique-niquèrent cet après midi là. Une très agréable après midi de discussions et de rencontres. Une petite délégation remit aux autorités de l'hôpital une pétition, qui eut pour résultat la démission du directeur de l'hôpital.

Au cours de cette manifestation une pétition demandant au parlement de spécifier les droits des parents et une loi pour le défendre, recueillit 12 000 signatures et fut remise à un député le 22 mars 1983.

Pour appuyer cette pétition, AIMS publiait un fascicule : « Atteinte aux droits de parents.» Ce fascicule écrit pour informer les parlementaires fut très vite vendu aux parents qui y trouvaient la définition de leurs droits. Un autre fascicule fut alors publié : les droits des parents en maternité qui est devenu : « Qui attend votre bébé? »

Ces démarches n'étant pas suffisamment efficaces, les associations de consommateurs décidèrent de créer un fond pour la défense légale des femmes, trop souvent contraintes à accepter la routine des ruptures artificielles des membranes, le syntocinon, le monitoring continu, les compléments de lait au biberon... malgré leurs protestations.

Aussitôt, les journaux professionnels publièrent des articles sur les droits des patientes, le consentement éclairé...

Beverley Beech, secrétaire de AIMS, considère que c'est cette démarche qui a obtenu le succès le plus efficace, la menace légale étant le seul argument vraiment entendu par le corps médical.

De fait, peu de parents portent plainte : beaucoup recherchent des informations, mais souvent quand ils les ont obtenues, ils arrêtent les démarches légales.

Mais l'arme légale est une arme à double tranchant : les médecins s'appuient sur cette prétendue menace pour renforcer la sécurité technologique.

La défense de la naissance à la maison : Depuis les années 70, AIMS est un ardent défenseur de la naissance à la maison, en s'appuyant sur les travaux d'une éminente statisticienne, Marjorie Tew. S'appuyant sur ces statistiques (et plus récemment, sur les statistiques qui argumentent aussi en faveur de la naissance à la maison en montrant que la sécurité est comparable, mais que la satisfaction des femmes est bien meilleure), AIMS a donc publié des fascicules pour aider les parents dans ce choix.

La remise en cause des choix technologiques : Les membres de AIMS se sont mises à étudier la littérature médicale, et ont découvert que la plupart des routines étaient appliquées sans le moindre étayage vraiment scientifique. AIMS, puis les femmes, se mirent à demander les preuves scientifiques des routines dont elles ne voulaient pas « bénéficier ».

Les recherches ont alors commencé selon les méthodes statistiques éprouvées de l'unité nationale d'épidémiologie périnatale d'Oxford, qui ont enquêté auprès des usagers.

Elles ont permis la publication de fascicules sur la phase d'expulsion -- doit elle être précipitée? -- le monitorage continu, les ultrasons, les naissances aquatiques...

Le soutien aux sages-femmes : AIMS a toujours soutenu la place des sages-femmes en tant que praticiennes à part entière pour l'accompagnement de la femme et de l'enfant au cours d'une grossesse et une naissance normale. Certaines sages-femmes se sont laissées abuser par la main-mise progressive de la médicalisation de la naissance. D'autres ont pris conscience de la disparition de leur savoir-faire, et ont voulu se réunir afin de se soutenir dans leur volonté de résistance face à la médicalisation de la naissance, mais aussi à l'agressivité de leur hiérarchie ou de leur collègues devenues au fil du temps des infirmières obstétricales. Elles ont fondé l'association des sages-femmes radicales (à la fois très actives et à la recherche des racines). Cette association a été soutenue par AIMS, jusqu'à ce qu'elle soit assez forte pour pouvoir afficher son réseau et former une organisation professionnelle : ARM.

La lutte contre la fermeture des petites maternités : En 1987 le nombre de fermetures de petites unités devient si alarmant, qu'AIMS édite un fascicule d'information sur les démarches et stratégies à adopter pour empêcher les fermetures. Un numéro spécial du journal d'AIMS paraît sur la « disparition du choix ». La rencontre avec le ministre responsable et son approbation ne sera pas suivie d'effet puisque peu après son remplaçant, dès sa nomination, décide une nouvelle fermeture.

Cette lutte incessante a porté ses fruits quand s'est ouverte la commission de recherche sur les services de maternité en 1991. Cette commission permanente se réunit tous les dix ans (nous n'avons pas l'équivalent?). Cette année là, (au contraire des commissions précédentes centrées exclusivement sur la diminution de la mortalité périnatale) les usagers, les associations professionnelles ont été invités à donner leur avis sur la façon dont les services de maternité répondaient aux besoins des usagers. L'ensemble des personnes consultées (plus de 400 rapports) ont contribué à établir un tableau assez homogène des besoins non satisfaits des parents. Ce rapport fut suivi en 92 de l'avis du comité d'expert Changing Childbirth qui s'est arraché ! Imaginez que l'on s'arrache le rapport d'une commission parlementaire !

Les conclusions essentielles de cet avis sont reproduites dans le numéro 204 des Dossiers de l'Obstétrique. Ces conclusions répondent favorablement aux revendications de AIMS. En effet il y est écrit explicitement que:

Voilà Changing Childbirth ! Quelle a été la mise en pratique ?

Quelques maternités ont joué le « jeu » mettant en place des équipes au sein des maternités en liaison avec les sages-femmes communautaires (équivalent des sages-femmes de PMI) pour offrir la continuité des soins et la possibilité soit de naissance à la maison, soit DOMINO (domicile in et out) : le suivi à la maison et une partie du travail et l'accouchement en structure avec prompt retour à domicile.

Les projets (pilotes) ont reçu un soutien financier pendant trois ans. Mais beaucoup d'hôpitaux offrent ces possibilités plus comme des gadgets. Il est si facile de répondre que ce ne serait pas raisonnable... Le frein vient aussi des résistances des sages-femmes à changer leur routine.

Malgré la déception dont font preuve les militantes les plus actives de AIMS ou ARM, on observe que le nombre global de naissances à la maison a doublé (passé de 1% à 2%). Dans certaines villes telles que Brighton, il y a 20% de naissances à la maison. Les petites maternités ne sont plus fermées. Les pratiques médicales sont examinées, et ainsi il y a beaucoup moins de monitoring continu, la liberté de mouvement est respectée (jusqu'à la Rolls Royce de l'analgésie comme écrit Beverley Beech en parlant de la péridurale). Et si une femme est très motivée, quel que soit l'environnement obstétrical, le système de santé local doit lui fournir les moyens de son choix (domino, naissance à la maison...)

Quels sont les facteurs qui ont permis ces modifications ? Le nombre de parents militants, leur pertinence, leur persévérance (de l'ordre de 20 ans pour l'aboutissement des principales revendications), mais aussi l'existence de la commission parlementaire et sa volonté de tenir compte de l'avis des citoyens lorsque cet avis était soutenu favorablement par les données épidémiologiques et la recherche.

Mais AIMS a encore de belles années d'activité devant elle pour soutenir, informer les parents dont le choix n'est pas celui du plus grand nombre.

Mes plus vifs remerciements à Beverley Beech dont l'article « Historique de AIMS de 1960 à 1990 » sous-tend la plus grande partie de ce que je viens de vous dire.

Françoise Bardes


Sites Internet et associations francophones pour une approche « citoyenne » de la naissance