2e Journée Petite Enfance. Mairie du 14e
arrondissement, Paris, 16 mai 2004
(Voir compte-rendu)
Beverley Beech
Mesdames, Messieurs, je vous remercie de m'avoir invitée à participer à cette conférence, j'espère que les informations que je partagerai ici avec vous, sur les actions que nous avons menées en Grand Bretagne afin de réduire le taux d'épisiotomies, vous seront utiles en France dans le même but.
L'épisiotomie fut développée aux Etats-Unis, où elle a été fortement promue sur la base de la protection du foetus. Un grand nombre de revendications d'ordre émotionnel ont été avancées, comme par exemple que pour chaque minute que la tête du foetus passait derrière le périnée on pouvait enlever deux points au QI de l'enfant à naître, ou que lors d'un accouchement spontané difficile le cerveau du foetus souffrait des chocs prolongés et des congestions pouvant occasionner des lésions cérébrales, anoxémie ou asphyxie ; on comparait la descente de la tête foetale à la chute de la mère sur un croc à fumier qui percerait le périnée, ou à la tête de l'enfant se faisant écraser par une porte...
Inutile de dire qu'aucune de ces affirmations n'est vraie, mais elles ont justifié la propagation et l'utilisation généralisée de cette forme de mutilation génitale qui est pratiquée en Occident.
En 1940, l'épisiotomie de routine était largement pratiquée aux Etats Unis, elle ne fut adoptée par les obstétriciens au Royaume Uni qu'en 1960, et à partir de là sa pratique augmenta considérablement. Vers 1967 le taux d'épisiotomies en Grande Bretagne était de 25%, il est passé à 53.4% en 1978. Cette augmentation peut s'expliquer par la « Gestion active du travail », fortement encouragée en Irlande par O'Driscoll. Ces procédures furent mises en place suite à la fermeture des petites maternités locales. On a donc centralisé les services d'obstétrique ; on a contraint les femmes à accoucher dans de grandes structures et, lorsque ces services ont été débordés par un plus grand nombre de naissances, les obstétriciens ont développé le moyen de « gérer » le processus dans les salles de travail pour en réduire sa durée.
En 1963 la durée optimale du travail pour une primipare était estimée à 36 heures, en 1968 elle fut réduite à 24 heures et en 1972 elle fut formellement établie à 12 heures. En 1965 l'hôpital accueillait 5.063 naissances, ce nombre est passé à 8.964 en 1981. La réduction de la durée du travail était en proportion inverse du nombre de naissances (O'Regan, 1988). Pour s'assurer que les femmes accoucheraient dans le temps artificiellement imparti, le travail était déclenché ou accéléré, on encouragea les femmes à pousser et une épisiotomie était réalisée pour être absolument certain que la tête du bébé émergerait le plus vite possible.
Une étude américaine de 1978 (Mehl, 1978) a montré que les femmes qui accouchaient à l'hôpital, comparées avec celles qui accouchaient à domicile, subissaient 9 fois plus d'épisiotomies.
Le Comité central des sages-femmes (l'organisme qui régissait leur activité au Royaume Uni) autorisa les sages-femmes à faire une épisiotomie en cas d'urgence, la femme devant être ensuite référée au médecin pour la suture ; ceci a été un autre facteur de l'augmentation du nombre d'épisiotomies. La philosophie des sages femmes avait été jusqu'à présent d'éviter l'épisiotomie dans les cas « normaux » en laissant faire la nature. Mais les femmes étaient de plus en plus nombreuses à devoir accoucher à l'hôpital sous la surveillance d'un médecin, suivant un protocole ; l'épisiotomie devint ainsi une partie intégrale de la « gestion active du travail ». Une étude réalisée par le West Middlesex Hospital, en 1971, montra que sur un groupe de femmes suivies exclusivement par des sages-femmes, accouchant à l'hôpital ou à la maison (Domino scheme, avec sortie immédiate), le taux d'épisiotomies était de 4%. Vers 1977 le taux d'épisiotomies pratiquées par les sages-femmes augmenta jusqu'à atteindre 50% (voir Graham I, 1997). On avait demandé aux sages-femmes de se plier aux normes de l'hôpital.
Dans une lettre publiée par le bulletin d'information de l'AIMS (Association pour l'amélioration des pratiques dans les services de maternité), une sage-femme affirmait que « l'épisiotomie [était] obligatoire chez toutes les primipares, en dépit des circonstances particulières de l'accouchement ». Après avoir fait un premier accouchement sans épisiotomie, elle était maintenant surveillée à chaque naissance afin que l'erreur ne se reproduise pas (AIMS Newsletter, 1974).
En 1974 une sage-femme, qui était aussi enseignante au National Childbirth Trust, publia un article dans le Nursing Times dans lequel elle s'interrogeait sur les prétendus bénéfices de l'épisiotomie dans la prévention des déchirures et des prolapsus (Levett, 1974).
En 1976, un bulletin de l'AIMS publia un article sous le titres « Episiotomie : l'odieuse incision » mettant en cause son utilité et les compétences des aides soignant(e)s : « Les épisiotomies sont souvent laissées aux étudiants de médecine pour leur pratique ; des jeunes hommes sans expérience qui n'ont jamais tenu une aiguille et un fil à coudre, apprennent leur premiers gestes en chirurgie sur cette précieuse partie de l'anatomie féminine. ».
En 1977, la secrétaire de l'AMIS, Anne Taylor, critiqua « l'odieuse incision » dans un article publié dans un magazine spécialisé ; elle y proposa aux femmes de participer à un sondage en donnant leur avis sur cette procédure (Taylor, 1977).
En 1978, l'AIMS et le National Childbirth Trust ont écrit au Département de la Santé, en s'interrogeant sur les bénéfices de l'épisiotomie de routine ; ils sont revenus à la charge en 1979 et ils ont aussi écrit au Comité central des sages femmes. Ces lettres n'ont suscité aucun changement.
Les sages-femmes commençaient aussi à s'interroger sur l'utilité de l'épisiotomie ; en mars 1979, Juliet Willmott écrivit un article dans le Nursing Times remettant en question la « pratique pernicieuse de l'épisiotomie de routine » et signalait que « le personnel soignant travaillant dans les salles d'accouchement, ceux qui pratiquent l'épisiotomie de routine, revoient rarement la femme accouchée, et ne sont pas forcément au courant de la souffrance occasionnée par cette incision chirurgicale mineure » (Willmott, 1979).
Cependant, aucun changement significatif ne fut envisagé jusqu'à ce qu'en 1981, un obstétricien, Michael House, publie un article dans un magazine de sages-femmes, analysant le pour et le contre de l'utilité de l'épisiotomie. Il conclut que « des millions d'épisiotomies sont pratiquées partout dans le monde » et que « cette pratique est faite dans l'intérêt de la mère et de l'enfant avec les meilleures intentions du monde, mais avec très peu d'évidence sur les bénéfices qu'elle pourrait leur apporter » (House, 1981). La valeur de cet article résidait sur le fait qu'il était écrit par un obstétricien et qu'il analysait tous les aspects de l'épisiotomie. Les membres de l'AIMS l'ont photocopié et l'ont envoyé à toutes les femmes qui ne souhaitaient pas avoir une épisiotomie. Ayant compris que les problèmes générés par l'épisiotomie et que nous dénoncions depuis des années, n'attiraient pas l'attention des professionnels, nous avons lancé le défi suivant : nous leur avons demandé de produire des preuves sur les bénéfices que l'épisiotomie apporte à la mère et à l'enfant en sachant parfaitement qu'ils n'auraient pas de preuves suffisantes, capables de justifier leur pratique.
Les usagers n'ont aucun pouvoir sur les programmes que la recherche médicale mène sur les femmes et les enfants. Certains sujets dont les gens voudraient que l'on fasse des recherches (comme par exemple, les effets nocifs de l'échographie de routine) ne sont pas étudies parce qu'ils ne représentent aucun intérêt pour la profession médicale. Les femmes souffraient de graves disfonctionnements sexuels comme résultat de l'épisiotomie, mais ce fait n'était d'aucun intérêt pour eux. En envoyant cet article écrit par un obstétricien, nous avons réussi à donner la confiance nécessaire aux femmes pour défendre leurs points de vue et refuser cette procédure.
L'inquiétude des femmes à propos de l'épisiotomie gagna en importance suite à la publication, par le National Childbirth Trust, de deux livrets écrits par Sheila Kitzinger. Ces livrets étaient basés sur l'expérience des femmes et traitaient l'aspect physique et émotionnel de l'épisiotomie (Kitzinger, 1981 et Kitzinger, 1981). Grâce à toutes ces démarches, il a été beaucoup plus difficile pour les obstétriciens de négliger la souffrance des ces femmes, ou de les considérer comme « anecdotiques ».
Durant l'été 1982, grâce à la pression exercée par les usagers et aux questions soulevées au sein même des professions médicales, une étude randomisée contrôlée sur l'épisiotomie fut mise en route. En même temps, l'AIMS créa le Maternity Defence Fund (Fonds pour la défense de la maternité), un fonds ayant pour objectif la collecte d'argent afin de permettre aux patients victimes d'abus de poursuivre les professionnels en justice. Jusqu'à cette époque, en Grande Bretagne, l'épisiotomie était la seule intervention chirurgicale qui pouvait être réalisée sans le consentement de la patiente. Cette approche a changé suite à la création du Maternity Defence Fund. On pouvait lire sur le communiqué de presse : « Lors de l'accouchement il est courant qu'on administre aux femmes des produits contre leur volonté et sans leur consentement ; des actes médicaux comme l'épisiotomie sont couramment pratiqués contre la volonté et le consentement des femmes. » Ce communiqué fut examiné par un avocat dans une revue spécialisée et il provoqua une grande agitation à propos du droit de la femme de refuser un traitement (Finch, 1982).
Les résultats de l'étude randomisée furent publiés en 1984. Ils démontraient que l'épisiotomie de routine n'était pas justifiée et l'expertise n'apporta aucune évidence sur ses supposés bénéfices ; il a été prouvé qu'elle ne réduisait pas les traumatismes périnéaux, ni les douleurs post-partum, et qu'elle n'aidait pas le périnée à mieux cicatriser après l'accouchement (Sleep, 1984).
Les statistiques en 2002 pour la Grande Bretagne sont les suivantes :
Raison de l'épisiotomie | Pourcentage |
Toutes les naissances | 13% |
Accouchements spontanés (présentations céphaliques) | 9% |
Forceps | 76% |
Ventouse | 58% |
Présentations en siège | 29% |
L'OMS a estimé que la pratique systématique de l'épisiotomie n'est pas justifiée (OMS, 1985).
L'examen systématique des recherches en obstétrique menées par la Cochrane Library a révélé que « la pratique restrictive de l'épisiotomie, comparée à l'épisiotomie de routine, semble avoir de nombreux bénéfices. Les lésions périnéales sont moins nombreuses, il y a moins besoin de sutures et moins de complications, il n'y a pas de différence concernant la douleur et les lésions graves du vagin et du périnée. En revanche il y a un risque accru de lésion grave du périnée antérieur par rapport à l'épisiotomie de routine » (Carroli, Belizian, 2004).
L'épisiotomie de routine est un exemple classique de la manière dont un acte médical largement adopté, avec peu ou aucune évidence sur ses bénéfices, s'est répandu et a été responsable, pour des femmes du monde entier, de préjudices et de complications postnatales non reconnues par les médecins. La pratique de l'épisiotomie de routine n'est pas justifiée, il n'y a pas de raison pour que l'on continue de la pratiquer, et il est temps que les femmes françaises s'informent sur les risques qu'elles courent quand elles prennent rendez-vous avec un obstétricien qui la pratique.
Beverley A Lawrence Beech
Association for Improvements in the Maternity Services
May, 2004-05-14
(Traduit par Daniela Vitancourt. Source: <http://fr.groups.yahoo.com/group/Re-Co-Naissances/message/1512>)
Anon. The sore subject, AIMS Newsletter, December 1974, p 10.
Anon. Episiotomy - the unkindest cut, AIMS Newsletter, March 1976, p 7.
Carroli G and Belizan J (2004). Episiotomy for vaginal birth (Cochrane Review) In: The Cochrane Library, Issue 2, 2004, Chichester, UK: John Wiley and Sons, Ltd.
Finch, J (1982). Litigation: A simple step forward, Nursing Mirror, 8th September.
Graham, I D (1997). Episiotomy - Challenging Obstetric Interventions, Blackwell Science, Oxford.
House, M J (1981). Episiotomy - Indications, Technique and Results, Midwife, Health Visitor and Community Nurse, January 1981, Vol 17, No 1, p. 6-9.
Levett, D (1974). Episiotomy - an over-used procedure? Open Forum, Nursing Mirror, 17 October, 89).
Mehl, L (1978). The outcome of home delivery in the United States. In: The Place of Birth (eds S. Kitzinger & J Davis), p. 107, Oxford University Press, New York.
O'Regan, M (1998). Active Management of Labour - The Irish Way of Birth, AIMS Journal, Vol 10 No2, Summer 1998, p1-8.
Taylor, A (1977). Maternity Matters, Mother and Baby, June 1977, p. 46.
Willmott, J (1979). No need to flaw the pelvic flaw, Nursing Mirror, March 29, p 31.
World Health Organisation (1985). Appropriate Technology for Birth, WHO Report.