La gestion active du travail

Midwifery Today E-News 3:16, 18 Apr 2001

[English version]

Les principes de gestion active du travail ont été formulés dans les années 1970 au National maternity Hospital de Dublin, Irlande. Ces principes sont [de manière abrégée] : diagnostic de début de travail basé, soit sur des contractions douloureuses accompagnées d'un effacement complet du col, soit sur la rupture des membranes; une heure après l'admission, on mesure la progression et on procède à une amniotomie; la dilatation du col doit augmenter d'au moins un centimètre par heure, ou bien on commence à administrer de l'ocytocine en augmentant la dose jusqu'à ce que la femme ait de 5 à 7 contractions toutes les 15 minutes; la durée maximale du travail est de 12 heures; une sage-femme est présente auprès de chaque femme pendant toute la durée du travail; les sages-femmes gèrent le travail et le personnel plus qualifié est appelé en consultation; le déclenchement est peu fréquent; le traitement médicamenteux de la douleur est disponible mais déconseillé.

Toute femme dont la dilatation ne progressait pas selon la moyenne statistique d'un centimètre par heure devait recevoir des ocytociques pour corriger son problème. En un trait de plume, sa déviation de la norme était étiquetée comme pathologique, et toute une philosophie a été mise en place pour justifier un protocole destiné à forcer tous les accouchements de primipares à se conformer à la moyenne. Pour atteindre ce but il fallait administrer des ocytociques à 40% des femmes. Si 40% des femmes ont besoin d'ocytocine artificielle pour progresser normalement, alors il y a quelque chose de faussé dans la définition de la normalité, mais ce détail a échappé aux médecins de Dublin.

Un sondage auprès des femmes à propos de l'usage des ocytociques a montré que 80% des mères avaient estimé que le travail était plus douloureux, et plus de la moitié n'en voulait plus [Crowther et al]. Penny Simkin (1986) a fait une enquête auprès de 159 jeunes mères, constatant que 76% d'entre elles disaient que les perfusions d'ocytocine engendraient du stress, 46% d'entre elles disant la même chose de l'amniotomie. Les touchers vaginaux étaient qualifiés de "stressants" par 56% des femmes. On peut se douter que les touchers rectaux - la norme à Dublin - étaient pires. Pour 55% et 61% d'entre elles, respectivement, le monitoring foetal externe et interne était source de stress. L'obligation de rester au lit stressait 64% des femmes, et la restriction des mouvements en stressait 77%.

Même les plus ardents défenseurs de la césarienne ne sont pas favorables à un taux de 24% de césariennes [le taux en 1986 aux Etats-Unis], de sorte que lorsque l'idée de gestion active du travail a été divulguée, les médecins américains s'en sont emparés... Malheureusement, les seules pièces du dispositif qui ont résisté à la traversée de l'Atlantique étaient l'amniotomie systématique, l'usage libéral des ocytociques et la limitation du temps de travail. Les autres pièces ont disparu: soutien continu d'une femme expérimentée, le fait que le personnel résident ne prenait pas les décisions, l'usage minimal de la péridurale (5%) et du déclenchement (< 10%)... De plus, les médecins de Dublin considéraient que les femmes devraient accoucher vaginalement...

Il se peut que la gestion active soit meilleure que ce qu'elle remplace, mais cela ne prouve rien d'autre que la nocivité de la gestion obstétricale classique... Même chez les promoteurs de la gestion active, le fait d'attendre une heure de plus avant de mettre en place un goutte-à-goutte d'ocytocine n'augmentait pas le faible taux de césariennes et diminuait de moitié le nombre des perfusées. Sur la base de leur étude de l'amniotomie et des ocytociques, Seitchik, Holden et Castillo argumentent que la norme de 1 centimètre par heure est trop rigide, et que les ocytocines ne devraient pas être utilisées avant deux heures sans progression. Mais la réalité est qu'on n'a pas du tout besoin de gestion active. Les sages-femmes aussi obtiennent des taux de 4% de césariennes, simplement en laissant seules la plupart des femmes.

Dans son commentaire sur la gestion active du travail, Sheila Kitzinger nous a fourni un aperçu de son agenda sous-jacent. Elle explique que la médicalisation de la naissance réfute et réprime la sexualité féminine, que les obstétriciens perçoivent comme un phénomène dangereux, menaçant et perturbateur. C'est en traitant les femmes comme des machines défectueuses qu'il faut gérer pour le bien du foetus, en évacuant la chaleur et la sensualité de cette expérience, réduite à un processus mécanique assujetti à un horaire fixe, c'est en se plaçant en personnage principal du drame et en contrôlant tous les aspects du comportement et des activités de la mère, y compris les sons qu'elle émet, que la naissance paraît sûre au médecin.


Dans un article sur la naissance après une césarienne antérieure, un obstétricien de Dublin, Michael Turner, fait le commentaire qu'en dix ans à Coombe Hospital, il y a eu quinze cas de rupture utérine sur 65488 naissances. Treize des cas concernaient des femmes qui avaient auparavant eu une césarienne, et treize avaient eu des médicaments à base d'ocytocine pour provoquer ou accélérer le travail. Il donne aussi les taux de césariennes pour les trois maternités de Dublin en 1994 : 12,6% au Coombe, 16,4% au Rotunda, et 8,8% au National.

L'Association for Improvements in Maternity Services (AIMS) fait le commentaire suivant:

Sans l'utilisation d'ocytocine ou de prostaglandine, le risque de rupture utérine, même après une césarienne, semble faible - environ une naissance sur 33 000 dans cette série, et cela confirme les résultats d'autres régions. Il y a encore à Dublin des femmes qui ont des familles nombreuses, et donc un utérus plus vulnérable à la rupture. Cette étude confirme notre expérience selon laquelle l'utilisation d'ocytocine et de prostaglandine est un important facteur de risque de rupture chez les femmes ayant eu une césarienne.


La gestion active du travail illustre la confusion dans l'approche médicale de ce qui est normal et de ce qui est pathologique en ce qui concerne la naissance. La gestion active est une forme extrême de médicalisation dans laquelle le rythme de l'horloge a été accéléré. Si le travail de la femme ne progresse pas à un rythme que les médecins ont défini, de manière arbitraire, comme satisfaisant, on dit que la femme souffre de « dystocie » et qu'une intervention est nécessaire pour accélérer le travail.

Un élément critique de la gestion active est le besoin des médecins de contrôler la naissance. Comme le travail est involontaire, imprédictible et incontrôlable, les seuls facteurs que les médecins ont réussi à prendre en charge sont la douleur et la durée du travail. La gestion active du travail bénéficie en premier lieu aux médecins et aux hôpitaux, pas aux femmes qui accouchent. Les inventeurs de la gestion active chantent les louanges de son « efficacité militaire » et le fait qu'elle dispense les équipes de la frustration d'attendre des « heures d'ennui ». Les promoteurs de la méthode affirment qu'elle permet une meilleure planification des besoins de personnel.

Ses partisans affirment aussi que la gestion active réduit le besoin de césariennes. Mais la gestion active est un protocole agressif, invasif, qui implique tous les risques associés. D'autres méthodes moins dangereuses pour réduire le nombre de césariennes sont disponibles : être accompagnée pendant le travail ; que les sages-femmes plutôt que des médecins fassent les accouchements ; naissance ailleurs qu'à l'hôpital. En fait, un pays tout entier, les Pays-Bas, a un taux de césarienne aussi bas que celui de l'hôpital de Dublin, Irlande - où la gestion active du travail a démarré - sans avoir recours à la gestion active.

On manque de bases scientifiques concernant la gestion active du travail. Elle est utilisée depuis 25 ans, et pas une seule étude randomisée n'a été entreprise pour comparer la gestion active à d'autres méthodes réduisant le taux de césariennes.

Ironiquement, la seule composante de la gestion active pour laquelle on a démontré scientifiquement qu'elle réduisait les césariennes est la présence continue de la sage-femme. Cependant, cette composante essentielle est souvent ignorée, et beaucoup de personnes aux Etats-Unis et ailleurs qui essaient de reproduire la gestion active dans leurs propres hôpitaux n'incluent pas cette composante.

Et à l'hôpital de Dublin, 40% des primipares sont diagnostiquées comme ayant un « myomètre qui ne fonctionne pas bien », incapables d'expulser le bébé sans l'aide de médecins et de médicaments. Mais les inventeurs de la méthode de gestion active n'ont jamais essayé de mesurer l'activité du myomètre.


Traduit de l'anglais par Emmanuelle Phan


Articles scientifiques sur la gestion active du travail (base de données de l'AFAR)


Midwifery Today E-News and quarterly journal

Midwifery Today's mission is to return midwifery care to its rightful position in the family; to make midwifery care the norm throughout the world; and to redefine midwifery as a vital partnership with women.

To subscribe to the Midwifery Today E-News, send your name and email address to enews@midwiferytoday.com

For information on how to subscribe to MIDWIFERY TODAY, our quarterly print publication, send your name, postal address and phone number to: midwifery@aol.com. Please mention Code 940.

Also visit web site: <http://www.midwiferytoday.com/>


Sites Internet et associations francophones pour une approche « citoyenne » de la naissance